Chapitre XXI - CERVETERI - AGYLLA ou CAERE (première partie)

 
Sarcophage étrusque de terre-cuite, de Cerveteri


                       - saxo fundata vetusto
          Urbis  Agyllinae ; ubi Lydia quondam
          Gens, bello praeclara, jugis insedit Etruscis.

                        - bâtie sur une montagne
          La ville d'Agylla fut fondée par des Lydiens guerriers
          Qui vinrent s'établir sur les hauteurs d'Etrurie [Virgile, Enéide]

          Buried he lay, where thousands before 
          For thousands of years were inhumed on the shore.
          What of them is left to tell
          Where they lie, and how they fell ?

           Il gît sous terre, où des milliers auparavant
           Pendant des milliers d'années furent inhumés sur la grève.
           Que reste-t-il d'eux, dire
           Où ils gisent, et comment ils périrent ? [Lord Byron, "Siège de Corinthe"]

Venant de la station ferroviaire de Palo, le voyageur distinguera devant lui un petit village avec un bâtiment important qui brille dans le soleil, au pied des collines qui s'élèvent au nord, sombres par le bois qui les recouvrent. Voici Cerveteri, la représentante moderne de l'antique cité de Caere. S'il vient avec l'intention de visiter le site, il sera probablement déçu dans son désir de trouver un moyen de transport. Une corriere [messagerie] apporte à Cerveteri les courriers déposés le matin par le train de Rome, mais le baroccino [charrette] n'offre que deux sièges, et on ne peut pas toujours obtenir une place.

Mais alors si le voyageur ne voulait pas avoir l'ambarras de marcher pendant cinq milles [8 km] par les collines, il devrait écrire le jour précédent à Giovanni Passeggieri de Cerveteri qui fera tenir prête une vettura [voiture] à la gare de Palo.

Le piéton ou le cavalier en route pour Cerveteri quittera la grand route pour un chemin plus court, tout de suite après avoir traversé un ruisselet connu sous le nom inquiétant de La Sanguinara [Tite-Live relate qu'en l'an 537, " les eaux de Caere coulèrent mélangées de sang". On suppose généralement que les Aquae Caeretes ici mentionnées sont la même chose que les Therma Kairetana de Strabon, à présent dénommées  les Bagni del Sasso, à quatre mille (6 km 400) de Cerveteri. Ne se peut-il que la tradition évoquée ci-dessus ne soit préservée dans le nom de ce ruisseau ?].

Si le voyageur est à bord d'un véhicule, il doit rester sur la grand route jusqu'à un second ruisseau, La Vaccina, ou ruisseau de la Vache, où une piste de campagne tourne à droite et traverse les collines jusqu'à Cerveteri. Aussi insignifiant que ce ruisseau trouble puisse lui sembler, qu'il fasse une pause un instant sur le pont et qu'il pense qu'il a eu l'honneur d'être chanté par Virgile.

Il s'agit du Caeritis amnis de l'Enéide, sur les rives duquel Tarchon [roi lydien et dieu, fondateur de l'Etrurie] et ses Étrusques plantèrent leur camp, et où Énée reçut de sa mère divine ses armes forgées par un dieu [Vulcain] et le bouclier prophétique, éloquent de la future gloire de Rome [il a en effet, gravées sur ses contours, des actions légendaires de Rome, qui n'est cependant alors pas encore fondée...] :

                        clypei non enarrabile textum
          Illic res Italas, Romanorumque triumphos,
          Fecerat Ignipotens.

                        ..............................................
          Là [sur le bouclier : clypei], l'histoire de l'Italie et les triomphes des Romains
          Vulcain représenta. [Virgile - Enéide]

L’œil erre au long du ruisseau bordé d'arbustes, sur les collines ondulantes dénudées, l'arva lata [vaste campagne] des anciens chants, jusqu'aux hauteurs qui s'enflent en pics ceinturés d'oliviers et de chênes-verts.

Là, le sombre bosquet de Sylvanus [dieu tutélaire des forêts], d'effrayante antiquité, jetait l'effroi ; et là-bas, sur les falaises rouges - les "hauteurs antiques" de Virgile -, se tenait la cité d'Agylla, jadis opulente et puissante, la Caere des Étrusques, désormais représentée, en nom et site seulement, par le misérable village de Cerveteri.

Tout ceci est terre sacrée - religione patrum latè sacer [Virgile - Enéide] -, sacré non selon la tradition de croyances évanescentes, pas même  par l'antiquité vénérable du site,  mais par l'hommage que le coeur accorde aux créations éternelles des poètes.

Les buttes qui s'élèvent ici et là sur les large collines, sont autant de tombeaux de princes et de héros de jadis, contemporains, peut-être, de ceux des plaines de Troie et, si ce n'est pas le cas, elles sont les souvenirs durables d'événements traditionnels, du moins les témoignages d'une époque antérieure qui conduisit le poète à choisir cet endroit comme adapté à sa poésie.

Il se peut que le grand tertre naturel qui s'élève près du pont soit le celsus collis [la haute colline] d'où Énée regardait le camp étrusque. A présent, aucune scène ni aucun bruit guerrier ne trouble la quiétude rurale du paysage. L'épée et la pique ont été échangés pour la houlette et le soc, et le seul son susceptible d'attraper notre oreille est le meuglement du bétail, l'aboiement des chiens de berger ou le cri du pecorajo [berger] tandis qu'il marche à la tête de son troupeau et l'appelle à le suivre vers son enclos ou son pâturage.

[note : cette scène, des moutons suivant leur berger attirés par sa voix, vient souvent sous le regard du voyageur quand il voyage en Orient : et une belle allusion y est faite dans les Saintes Écritures (St Jean, X, 3 et suiv.). Les bœufs et les chèvres aussi en Corse, et même les porcs en Italie, suivaient leur berger au son de sa trompette. Polybe, qui rapporte ce fait, remarque qu'alors que les meneurs de porcs, en Grèce, marchent derrière, ceux d'Italie précèdent invariablement leur troupeau.]

Sylvanus, " le dieu des champs et du bétail", a toujours l'empire sur cette terre" [note : Cette région était renommée pour son bétail dans les temps anciens. Lycophron (poète grec) parle des vallées et ravins d'Agylla, abondants en troupeaux].

Après deux milles [3 km 200] de route de campagne, le voyageur passe la chapelle Santa Maria de' Canneti, et à présent monte entre les murs de Cerveteri et les hauteurs de l'ancienne cité. Cerveteri, le représentant d'Agylla, est un village misérable. Il est entouré par des fortifications des quatorzième et quinzième siècles, et se situe juste en-dehors de la ligne des anciens murs, de sorte qu'il est annexé, plutôt qu'il ne l'occupe, au site de la cité originelle.

Le village, et la terre sur quelques milles alentour, sont la propriété du Prince Ruspoli dont le palais forme un objet remarquable dans le paysage. Ce noble procède rarement lui-même à des fouilles, mais autorise ses amis à les mener, lesquels ont une tournure d'esprit plus portée à la recherche ou à l'amour des vieilles choses.

C'est à l'initiative du Marquis Campana, du Général Galassi, de l'archiprêtre Regulani, et par la suite de Monsieur Capranesi, et des frères Boccanera, que nous devons les nombreux et remarquables objets de l'antiquité étrusque qui ont été mis au jour ici ces dernières années.

Le cicerone, dont le visiteur qui voudrait voir les tombes doit se procurer les services et les clés, est Giovanni Passegieri, un marchand de tabac que l'on trouve dans son échoppe sur la petite place. La plupart des voyageurs se suffiront pour honorer le site en une journée d'une excursion à partir de Palo où se trouve une auberge passable. 

Mais ceux qui voudraient consacrer plus qu'un jour hâtif aux antiquités de Caere, qui voudraient éviter le va-et-vient avec Palo et souhaiteraient s'installer dans d'un logement de village, trouveront un lit propre et le couvert dans la maison dudit Giovanni, quoiqu'ils ne doivent pas s'attendre aux raffinements pour lesquels jadis Caere était fameuse [note : Martial savourait le pernae de Caere et comparait ses vins à ceux de Setia (Sezze à une cinquantaine de km au sud de Rome). Columelle témoigne de l'abondance de ses vignes].

Aussi lointain le temps des Étrusques soit-il, cette cité se vante d'une antiquité bien plus ancienne. Elle se nommait Agylla à l'origine et elle est classée par Denys parmi les villes primitives d'Italie qui soit furent construites par des Pélasges [habitants de la Grèce antérieurs aux Grecs] et des Aborigènes unis, soit furent prises par ceux-ci aux Sicules [antiques habitants de la Sicile], les plus anciens propriétaires de la terre, des années avant la fondation de l'Etat étrusque.

Qu'elle fut au moins pélasgique et d'antiquité très reculée, il ne peut y avoir aucun doute : encore peut-on ne pas avoir envie d'admettre que cette occupation de l'Italie remonte avec certitude à la troisième génération avant la guerre de Troie.

[note : Hellenicus de Lesbos déclare que les Sicules furent expulsés d'Italie à cette période ; Philistos de Syracuse donne comme date 80 ans avant la guerre de Troie, tandis que Thucydites attribue l'expulsion à une période bien postérieure à la chute de Troie.]

[note : Denys est confirmé par Strabon, Servius et Solin qui tous rapportent que Agylla fut fondée par les Pélasges. Servius déclare qu'ils furent conduits à choisir ce site à cause d'une fontaine, étant incapables de trouver de l'eau ailleurs dans le voisinage. Strabon dit que ces Pélasges venaient de Thessalie. Virgile corrobore la tradition en reliant le bosquet de Sylvanus, sur ce site, aux Pélasges : 

             Silvano fama est veteres sacrasse Pelasgos.

Lycophron qualifie Agylla d'ausonienne (qui appartient à l'Ausonie, ancienne partie de l'Italie). Lepsius remarque justement qu'il y a plus de témoignages de l'origine pélasgique de Caere que de tout autre cité d’Étrurie. Mommsen affirme qu'Agylla n'est pas un nom pélasgique, comme on le suppose généralement, mais un mot d'origine purement phénicienne signifiant "ville ronde" car telle est la forme que la ville devait présenter depuis la côte.]

Des traditions de périodes si antérieures à la période historique doivent être trop enveloppées d'affabulations ou trop déformées par leur moyen de transmission pour êtres reçues comme strictement authentiques. Dans ses premiers temps, Agylla semble avoir conservé des relations avec la Grèce, ce qui corrobore, si besoin en est, la tradition uniforme de son origine pélasgique.

[note : on ne peut déduire qu'Agylla ait eu une origine grecque du fait qu'elle a dédié un trésor à Apollon delphien et qu'elle a consulté cet oracle, car d'autres peuples que les Grecs sont notés pour avoir fait des consécrations et des consultations similaires. Crésus, roi de Lydie, consulta l'oracle de Delphe et d'autres oracles grecs, et Tarquin le Superbe envoya ses deux fils avec des offrandes consulter l'oracle delphique. La langue de la cité, toutefois, dans les tous premiers temps, si l'on en croit Strabon, était le grec ; ou si on refuse de faire crédit à la tradition qu'il rapporte, nous pouvons, du moins, l'admettre comme preuve de la croyance générale dans l'origine grecque de la ville, qui donna naissance à la légende. Servius fait dériver le nom d'un heros eponymos (héros éponyme), Agella.]

Il semblerait que lors de sa conquête par les Étrusques son nom fut changé en Caere, mais on ne connait pas du tout la raison de ce changement, à moins d'attacher du crédit à la vielle légende qui nous dit que quand les colons lydiens ou étrusques furent sur le point d'attaquer la cité, ils la saluèrent et s'enquirent de son nom. Sur quoi un soldat depuis les remparts, ne comprenant pas leurs intentions ou leur langue, répondit par un salut - Chaïrê - ce que, recevant cela comme un bon présage, ils appliquèrent au nom de la ville lors de sa capture.

[note : d'après Strabon. Servius rapporte la même histoire mais sur l'autorité de Hyginus attribue la gaffe aux Romains. Müller pense que le nom étrusque originel était "Cisra". Lepsius considère Caere comme le nom originel, lequel vint revint en usage une seconde fois, et il pense qu'il était ombrien, non pas étrusque, conformément avec sa théorie selon laquelle la race et la langue ombriennes seraient le fondement des Étrusques. Canina, qui appartient à la vieille ou littérale école d'interprétation historique pense que "le changement de nom et le mélange des Agylléens avec les envahisseurs étrusques peut être fixés aux dix premières années après la chute de Troie", tandis que Niebuhr, d'un autre côté, n'admet pas que cela soit advenu aussi tôt, même, que l'année 220 de Rome (534 avant JC).]

Mais tout ceci, comme la plupart des étymologies des anciens, sent fortement ce que Pline appelle la perversa subtilitas [subtilité perverse] des grammairiens.

Au temps d’Énée, la cité est représentée par Virgile sous l'emprise de Mezentius, un tyran cruel et impie, qui fut expulsé par ses sujets et fuit chez Turnus, roi des Rutules [peuple du sud du Latium] tandis que les Agylléens libérés rejoignaient les rangs du prince troyen [Énée].

Aux temps très reculés, on dit que Caere a cultivé les arts : car Pline affirme qu'à son époque il s'y trouvait des peintures qui avaient été exécutées avant la fondation de Rome et les cite comme exemples du rapide progrès que cet art avait réalisé étant donné qu'il apparaissait ne pas avoir été pratiqué au temps de Troie.

Caere, même aussi précocement qu'à l'époque du premier Tarquin, est représentée comme faisant partie des cités les plus florissantes et peuplées d’Étrurie, et elle était indubitablement l'une des Douze de la Confédération. 

[note : on peut apprendre cela de passages de Denys et de Strabon déjà cités, de même que le rôle prépondérant que joua la cité, conjointement avec Véies et Tarquinia, et par le cours indépendant qu'elle suivit ultérieurement vis-à-vis de Rome. Tite-Live représente aussi Caere comme une cité d’Étrurie puissante et opulente.]

Mais ce qui par dessus tout distinguait Caere, est qu'elle seule de toutes les cités d’Étrurie s'abstenait de piraterie, non par infériorité de force ou d'avantages naturels, mais seulement par son sens de la justice : pour cette raison les Grecs l'honoraient grandement pour son courage moral à résister à cette tentation.

[note : d'après Strabon. Mommsen pense que Strabon dans ce passage ne fait pas allusion à la piraterie, mais veut dire que Caere protégeait et encourageait le commerce international en s'abstenant d'exactions, et qu'elle devint ainsi une sorte de port-franc à la fois pour les Phéniciens et les Grecs, grâce à quoi elle devait sa grande richesse et son importance dans les temps reculés.]

La première mention de cette cité dans l'histoire romaine est qu'elle entretint une guerre avec Tarquin l'Ancien [cinquième roi légendaire de Rome]. Elle se joignit aussi à Véies et Tarquinia lors de la guerre de vingt ans avec son successeur, Servius Tullius et, lors du rétablissement de la paix, en conséquence de la part prépondérante qu'elle avait prise, elle fut punie par le monarque romain par la confiscation d'une portion de son territoire.

 A la même période, ou vers l'an de Rome 220 (534 avant J.C.), les habitants de Caere joignirent leur flotte à celle de Carthage lors d'une expédition contre une colonie de Phocéens qui s'étaient emparés d'Alalia en Corse [Aleria], et après un combat sévère, tous les prisonniers pris par les alliés furent emmenés à Caere et y furent lapidés. En conséquence de ce massacre de sang froid, la cité fut punie par un fléau : les hommes et les troupeaux - quel que soit l'animal qui passait près de l'endroit où les corps des Phocéens gisaient - furent affligés de déformations, mutilations ou de paralysie. Sur quoi les habitants de Caere envoyèrent à Delphes consulter l'oracle pour savoir comment ils pourraient expier leur crime et il leur fut ordonné d'exécuter des rites expiatoires solennels et d'instituer des jeux d'exercices de gymnastique et de courses de chevaux en l'honneur des massacrés, ce qu'ils continuaient d'observer au temps d'Hérodote [historien grec du Vème siècle avant J.C.]

Lors de l'expulsion de Tarquin le Superbe de Rome, lui et son fils trouvèrent refuge à Caere [note : Denys cependant affirme que ce fut à Gabies qu'il s'enfuit où son fils Sextus était roi. Tite-Live dit que ce fut Sextus seul qui alla à Gabies], sans doute en lien avec ses liens familiaux en cet endroit. Mais il n'est pas noté que cette cité prit part à l'expédition de Porsenna pour réinstaller le prince exilé.

Contrairement à Véies, Fidènes, Faléries et d'autres cités de cette partie de l'Etrurie, Caere, quoique à à peine 27 milles [43 km] de Rome, semble avoir été pendant longtemps en termes amicaux avec cette cité. 

[note : cette fraternité et cette liaison intime étaient sans doute dues aux origines pélasgiques de Caere et au manque corrélatif d'une complète sympathie pour les Étrusques. Niebuhr était même enclin à penser que Rome était une colonie de Caere. Lepsius pense que la population pélasgique de Caere avait plus ou moins préservé sa pureté à une période tardive.]

Quand en l'an 365 Rome fut attaquée par les Gaulois, Caere ouvrit ses portes et donna refuge au Flamine de Quirinus (grand prêtre romain) et aux Vestales et finalement les réinstalla en toute sécurité dans leur foyer. On nous dit même que le peuple de Caere attaqua les Gaulois qui se retiraient, chargés des dépouilles de Rome, les mirent en déroute et récupérèrent tout le butin qu'ils emportaient.

Pour ces services, le Sénat [romain] décréta que les habitants de Caere recevraient l'hospitium publicum ou qu'ils seraient admis dans la relation la plus intime avec le peuple romain : en fait, ils reçurent les privilèges complets des citoyens romains, sauf le droit de vote. L'origine de notre mot cérémonie - caeremonia - a été attribuée à cet événement.

[note : Les étymologies des Anciens sont rarement fiables : mais Niebuhr pense que cette origine est très plausible. Il se peut que la première syllabe du mot n'ait pas été à l'origine Caeri, mais Coeri (pour Curi)monia, Coerare étant une forme primitive de Curare (soigner), ce qui au moins exprime le sens ; les deux diphtongues, c'est bien connu, étaient parfois interchangeables.]

Une année ou deux avant la prise de Rome par les Gaulois, Caere fut engagée contre un autre ennemi, Denys de Syracuse, qui, en 362, attaqua Pyrgi [port étrusque à 50 km au nord de Rome] et dépouilla son fameux temple d'Ilithye [déesse de l'enfantement]. Comme il s'agissait du port de Caere, les habitants de celle-ci se précipitèrent à son secours, mais n'étant probablement par préparés à une guerre, ne s'attendant pas à une attaque, ils furent aisément mis en déroute par les Siciliens.

Bien qu'étroitement alliée à Rome, Caere continua à maintenir son indépendance : mais il est probable que celle-ci était menacée, autrement la "sympathie du sang" seule ne l'aurait guère conduite, en l'an 401 (353 avant J.C.), à prendre les armes pour porter assistance à Tarquinia contre Rome, alors qu'elle avait été de temps immémoriaux associée à la République.

Elle dut avoir reçu quelque provocation pour envoyer une armée dans l'espace romain qu'elle détruisit jusqu'à l'embouchure du Tibre. Avant longtemps, cependant, elle se repentit de cette entreprise et demanda pardon et paix, rappelant aux Romains les services qu'elle avait rendus quand ils étaient en détresse. Le Sénat adressa ses ambassadeur au peuple qui, ému par leur appel touchant et le souvenir des services passés plutôt que par l'excuse alors sollicitée, écoutèrent leur prière et offrit une trêve de cent ans.

Il est hautement probable que le peuple de Caere paya son erreur par la perte de son indépendance, car on n'a pas de trace de sa conquête ultérieurement par les Romains ; en fait, on entend ensuite parler de Caere comme une dépendance romaine, fournissant le blé et d'autres provisions pour la flotte de Scipion, en l'an 549 [de Rome] et portant assistance d'autre façon lors de la Seconde Guerre Punique.

Au début de l'Empire cette "splendide et illustre cité" avait sombré dans la plus grande insignifiance, ne conservant que quelques vestiges de sa grandeur passée, étant même dépassée en population par les Thermae Caeretanae, les bains chauds des environs que les Romains fréquentaient pour raison de santé.

[note : d'après Strabon. A présent Bagni del Sasso, ainsi appelé à cause du remarquable rocher dénudé sur le sommet de la montagne avoisinante. Ce site se trouve à cinq mille (8 km) à l'ouest de Cerveteri et est visible de la route entre Palo et Sta Severa. Mannert place Aquae Caeretanae à Ceri ; Canina à Caldane, cinq ou six milles au sud-est de Cerveteri. Cluver le confond avec les Aquae Apollinares, sur la route supérieure de Rome à Tarquinia. Westphal fait une faute idendique. Mais Holstenius distingue entre les deux Aquae, situant l'un à Stigliano, l'autre à Bagni del Sasso. Le vrai site d'Aquae Apollinares a été déterminé par M. Desjardins à Vicarello, sur le Lac de Bracciano.]

Elle se réactiva cependant, ainsi qu'il apparaît à partir de monuments et d'inscriptions trouvés sur place et devint un municipium.

[note : lors de fouilles réalisées en 1840, de belles statues de marbre de Tibère, Drusus, Germanicus et Agrippina furent découvertes en même temps qu'un bas-relief particulier portant les noms et emblèmes de trois cités étrusques, Tarquinia, Vetulonia et Vulci, lesquels objets sont parmi les principaux ornements du nouveau musée du Latran. Durant la saison 1845-6, les moines augustins de Cerveteri découvrirent beaucoup plus de statues et de torsi, avec des autels, des bas-reliefs, de belles corniches et d'autres fragments d'un théâtre, des tuiles de couleur et des antefixae (antéfixe = ornement des bordures de toits), et de nombreux fragments d'inscriptions latines, avec une en étrusque, "CUSIACH" qui est unique pour avoir les lettres creusées dans le marbre et incrustées d'une pierre plus sombre.]

Elle ne fut jamais à aucun moment complètement effacée de la carte, mais continua à exister et avec son nom ancien, jusqu'à ce qu'au début du treizième siècle une parti de ses habitants se déplacent sur un site à trois milles [5 km] de distance auquel ils accordèrent le même nom. Et la vieille ville était distinguée par le titre de Vetus [vieille], ou Caere Vetere, qui a été corrompu en l'actuelle appellation de Cerveteri, la nouvelle ville conservant encore le nom de Ceri.

Ceci a égaré les historiens qui ont cherché la cité étrusque sur le site qui semble clairement porter son nom [note : une bulle de Grégoire IX, en 1236, distingue entre ces deux villes précisant " plebes et ecclesias in Cere Novâ, et aussi, "in Cere Vetere et finibus ejus".], mais des inscriptions et d'autres monuments trouvés à Cerveteri ces dernières années ont établi son identité avec Caere sans l'ombre d'un doute.

[note : Canina dans son "Cere Antica" publié en 1838 prétend avoir été le premier à indiquer le vrai site de cette cité. Mais Gruter avait bien avant fourni des inscriptions faisant référence à Caere, qui avaient été trouvées à Cerveteri.]

Plan de Caere et de ses nécropoles


Il ne reste de l'antique cité que quelques vestiges. Cependant le dessin de ses murs est clairement défini, pas tant par des fragments, car il en reste peu, que par le caractère du sol que la cité occupa. Il s'agit d'une hauteur - ou plateau - qui s'élève en falaises abruptes au-dessus de la plaine côtière, sauf du côté septentrional où elle est reliée par une petite bande de terre à la haute terre attenante.

A l'intérieur de l'espace ainsi délimité par la nature, pas une seule ruine de l'ancienne cité ne s'élève à présent au-dessus du sol. Les temples, les tours, les bêtiments publics, les palais, les théâtres sont tous réduits en poussière : les ruines de Caere ont disparu ou sont recouvertes par la terre. Le paysan suit sa charrue, le vigneron arrange ses vignes et le berger prend soin de son troupeau, inconscient qu'il foule les rues et les bâtiments d'une cité parmi les plus fameuses des anciens temps, et trente fois plus étendue que le misérable village qui a conservé son nom.

Que le voyageur n'oublie pas de visiter le site de Caere avec le sentiment qu'il n'y a rien à voir. S'il a le goût des antiquités, il aura la satisfaction de déterminer l'étendue, la forme et la position de la ville, il verra qu'elle avait un périmètre de quatre ou cinq miles [7 à 8 km] et par conséquent qu'elle justifiait pleinement sa prétention à être rangée parmi les premières d'Etrurie, qu'elle était de forme oblongue, qu'elle avait huit portes, toutes distinctement identifiables, certaines desservies par des routes enfoncées dans la roche et alignées de tombes, d'autres conservant leurs murs de bordure en maçonnerie.

Il verra sur les falaises autour de la ville les bouches des égouts en surplomb, et, plus fréquemment, des tombes de formes variées en contrebas. Et il apprendra des quelques fragments qui demeurent, que les murs de Caere étaient composés de blocs rectangulaires de tuf, de taille et d'arrangement semblables à ceux des murs de Véies et de Tarquinia, et profondément différents de ceux de Pyrgi [un des trois ports de Caere] qui sont supposés avoir une origine commune.

[note : Canina illustre quelques fragments du mur au nord de la cité. Des fondations peuvent être suivies le long du front des falaises et sur le côté opposé de Banditaccia, sur une étendue considérable. Beaucoup des anciens blocs ont été enlevés ces dernières années pour construire des murs dans les environs et j'ai été un témoin indigné de ces destructions lors d'une de mes nombreuses visites au site.

Nibby parle de traces des murs plus anciens - ou pélasgiques - à propos de grands blocs irrégulièrement quadrangulaires le long des falaises à l'est de la ville, et encore plus distinguables sur le côté occidental. Je n'ai pas pu détecter de tels vestiges. Tous les fragments que j'ai observés sont d'un caractère uniforme : de la maçonnerie de tuf rectangulaire de blocs plus petits qu'à l'ordinaire et très semblables en taille et disposition aux fragments de muraille à Véies et Tarquinia et aux anciennes fortifications sur la hauteur de San Silvestro, près du Tibre, que je regarde comme le site de Fescennia (cité étrusque)

Il est cependant possible que ces murs soient de construction pélasgique : car, dans la mesure où le seul matériau sur place est du tuf léger, qui se débite rectangulairement, les fondateurs pélasgiques de la cité ne pouvaient pas éviter de l'utliser sauf en recherchant du calcaire, à grand peine, dans les montagnes à l'intérieur des terres. 

Et, utilisant le tuf, ils le taillèrent naturellement en formes le plus aisément façonnables et disposables, ainsi qu'ils le firent dans la tombe Regulini-Galassi et dans d'autres tombeaux de Caere dont le contenu nous autorise à les considérer comme pélasgiques. 

L'objection à attribuer une telle origine aux vestiges des murs de la cité ne réside pas dans le caractère rectangulaire des blocs, mais dans leur petite taille vu que toutes les anciennes fortifiations qu'on peut assurément attribuer aux Pélasges sont composées d'énormes masses. 

Quoique je reconnaisse l'influence des matériaux locaux dans le style de maçonnerie, je ne pense pas qu'elle représente une necessité de construction et quoique je croie que les Pélasges puissent avoir employé un style de maçonnerie à Cosa, un autre à Cortone et un troisième à Agylla, je ne peux admettre qu'il n'aient exercé aucune préférence, ou que tout autre peuple avec les mêmes matériaux seraient arrivés au style très particulier qu'ils semblent avoir toujours suivi, là ou c'était possible, et qui est généralement appelé de leur nom. ...]

Si le voyageur est un artiste, ou un amoureux du pittoresque, ne prenant aucun intérêt aux antiquités locales, il trouvera quand même une abondance de matière pour le délice de ses yeux ou l'emploi de son crayon : soit sur le site de la cité elle-même, avec d'un côté sa large perspective de plaine et de mer, et celle de sombre collines à plusieurs pics, de l'autre ; soit dans les ravins alentour où il trouvera des combinaisons de roche et de bois telles que rarement surpassées pour la forme et la couleur.

Les falaises de la cité, ici surgissant hardiment d'un seul élan de la pente, là brisées en de nombreuses formes angulaires, avec d'énormes masses de roches éparpillées à leur pied, son naturellement du rouge vif que le tuf  peut prendre, et sont rendues encore plus brillantes par des lichens qui s'incrustent dans le plus chaleureux orange ou ambre, ou sont dorées avec le jaune le plus éclatant, mis en évidence par un assombrissement occasionnel de gris, tandis que le sombre chêne-vert, ou chêne, drape et couronne le tout,

          "And overhead the wandering ivy and vine
          This way and that, in many a wild festoon,
          Run riot, garlanding the gnarled boughs
          With bunch and berry and flower."

          Et au-dessus le lierre et la vigne errant
          De ci de là, en de nombreux festons sauvages
          Mènent la révolte, ornant les rameaux noueux
          De guirlandes de bouquets et de baies et de fleurs. [Alfred Tennyson, Oenone]

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