Chapitre XIX - Bieda - Blera

                 Data sunt ipsi quoque fata sepulchris

                 Les tombeaux aussi sont sujets à la fatalité - Juvénal [satiriste latin                                                                                                        de la fin du Ier siècle]

      Some things in it you may meet with, which are out of the common  road : a Duke there is, and the scene lies in Italy

      Vous pourriez y rencontrer des choses hors des sentiers battus : un Duc, on trouve, et la scène se passe en Italie  - Beaumont et Fletcher [de "A Woman Hater - 1607 - ; dramaturges anglais du XVIIè siècle qui collaborèrent à plusieurs pièces]


Un autre site étrusque de grand intérêt, mais très peu connu, est Bieda, un village à cinq ou six milles [8 à 10 km] au sud-ouest de Vetralla. C'est le descendant de l'antique ville de Blera dont son nom est une corruption.

[note : quand un l dans les mots latin suit une consonne, les Italiens sont habitués à le changé en i : ainsi de clarus, planus, flamma ils font chiaro, piano, fiamma ; et le r est parfois changé en d, comme rarus devenu rado ; porphyritesporfido. Blera doit avoir été nommée Phlera, ou Phlere, par les Étrusques, car il n'avaient pas de b dans leur langue. "Phleres" est un mot qui apparaît souvent dans les inscriptions votives étrusques.]

Blera n'a pas pu être un endroit important, que ce soit sous les Étrusques ou les Romains. Les anciens historiens ne la mentionne pas une fois et son nom apparaît seulement dans les catalogues des géographes.

Nous savons que c'était une petite ville au commencement de l'Empire [Strabon la classe parmi les "petites places" d’Étrurie] ; qu'elle se trouvait sur la Via Clodia, entre le Forum Clodia et Tuscania. Et là s'arrête notre savoir d'après les anciennes sources. Nous apprenons qu'elle a eu une existence aux temps des Étrusques, non pas à partir des pages d'Histoire, mais d'après les traces plus sûres de ses monuments existants.

Il est mieux de visiter Bieda à partir de Vetralla. La route pendant les deux premiers milles est la grand-route vers Corneto et Civita Vecchia. Ensuite nous la quittâmes à gauche, traversâmes quelques collines par une simple chemin muletier, passâmes à gué un torrent dans un creux profond et sauvage, et atteignîmes le rebord de la colline d'où le village de Bieda s'offrit à notre vue, couronnant une hauteur opposée.

Le paysage à cet endroit était très romantique. La hauteur de Bieda était élevée et à pic, et comme à l'accoutumé, c'était une langue de terre à la jonction de deux ravins qui la séparaient de hauteurs correspondantes pareillement abruptes.

Ces vallées encaissées, ou ravins, étaient bien couvertes de bois, désormais riches des teintes de l'automne. Des bois grimpaient aussi le long des falaises pentues et luttaient pour prendre pied parmi les masses sauvages de tuf éboulé depuis leur rebord, et couronnaient triomphalement la surface de la plateforme au-dessus.

Alors que nous descendions la pente rocheuse, nous nous retrouvâmes dans la nécropole étrusque. La pente était rompus en de nombreuses corniches et les falaises ainsi formées étaient remplies de cavernes, tombeau après tombeau, au-dessus, en-dessous et autour de nous, certains simplement creusés dans la roche et où l'on entrait par des portes égyptiennes, certaines de simple niches et d'autres ornées de façades architecturales : des rives du torrent jusqu'à la corniche de la hauteur, toute la façade de la colline était ainsi creusée.

J'avais été frappé à Castel d'Asso par l'arrangement en forme de rue des tombes, et à Norchia par leur ressemblance avec une maison : mais j'avais peine à considérer ces caractéristiques autrement qu'accidentelles et je les avais attribuées aux spécificités naturelles du terrain. Mais ici, je me sentis convaincu de leur intentionnalité et que cet assemblage de tombes était littéralement une nécropole, une cité des mort.

On trouvait ici des rangées de tombes, côte à côte, creusées dans la falaise, toutes avec leur porte béante : ici elles étaient en terrasse, l'une au-dessus de l'autre, réunis par des volées de marches taillées dans la roche ; là se trouvaient des masses détachées du précipice en surplomb et taillées en tombes, se détachant comme des demeures isolées, façonnées, également, selon la forme-même de maisons, avec des toits en pente culminant en un faîte, des avant-toits en surplomb du pignon et une poutre centrale massive en soutien des chevrons.

J'observai que l'angle du toit était celui toujours usité dans les bâtiments italiens, cet angle qui, juste suffisant pour évacuer la pluie, est naturellement suggéré sous un climat où la neige dure rarement une journée.

J'ai parlé seulement de l'extérieur des tombes. Mais alors qu'on pénétrait l'une ou l'autre, la ressemblance [avec des maisons] n'en fut pas moins frappante. La large poutre sculptée en relief le long du plafond, les chevrons, également en relief, qui reposaient dessus et descendaient délicatement de chaque côté, la chambre intérieure dans beaucoup, éclairée par une fenêtre de chaque côté de la porte dans le mur de séparation, tous les trois de cette même forme égyptienne, l'arrangement en forme de triclinium [banquettes entourant trois côté d'une table rectangulaire de banquet] des bancs taillés dans la roche, comme si les morts, ainsi qu'ils sont représentés sur leurs sarcophages, avaient l'habitude de s'allonger à un banquet, ces éléments furent suffisants pour me convaincre que les Étrusques, par bien des aspects, cherchaient, dans leurs tombeaux, à imiter leurs habitations et cherchaient à faire de leurs cimetières autant que possible les homologues de leurs cités.

L’extrémité de la hauteur au sommet de la falaise est aussi affûtée qu'un coin. S'y tiennent la ville ancienne ainsi que le village moderne, mais ils n'occupent pas précisément le même site : la première, depuis des fragments d'un mur antique au bord du précipice de chaque côté de la hauteur, semble s'être étendue jusqu'au bout même de la langue de terre ; tandis que ce dernier est éloigné de presque un mille en arrière.

Au point de jonction des deux ravins, là où les torrents de chacun se rejoignent aussi, , il y a un pont ancien, avec une large arche, posé sur les rives rocheuses du torrent, et auquel amène une chaussée de maçonnerie qui croît progressivement, qui, de même que le pont, est en tuf découpé des falaises alentour.

[note : de façon à adapter la maçonnerie à la montée de la route, un tracé en forme de coin a été introduit qui donne une légère élévation vers l'arche. J'ai observé de semblables tracés en coin dans les murs de plusieurs cités étrusques et ombriennes - Populonia, Fiesole, Pérouse, Todi - et ce trait peut aussi être vu dans les soubassements de la Voie Appia, près de Ariccia (30 km au sud de Rome).]

Les parapets ont été renversés, probablement par les grands arbustes qui les flanquent, qui insinuent leurs racines dans la maçonnerie non cimentée et qui menacent finalement de détruire toute la structure. Le seul moyen d'approche de Bieda de ce côté s'effectue par cet ancien pont qui était probablement sur la Via Clodia.

Il semble qu'à partir de là il y ait eu anciennement deux routes vers la ville, l'une qui mène directement jusqu'au sommet du plateau en forme de coin, l'autre, toujours en usage, qui se déploie sous le précipice à droite et qui plonge profondément dans la roche de tuf.

Les falaises entre lesquelles elle passe sont creusées pour recevoir les morts, non pas, comme à Véies, en niches carrées ou droites qui ne pouvaient contenir qu'une urne ou un vase, mais en alcôves surbaissées, comme à Falleri, d'une longueur suffisante pour contenir un corps, avec un creux profond pour qu'il puisse y être étendu et une rainure tout autour pour un couvercle de pierre ou de terre-cuite, qui apparemment servaient aussi à évacuer l'eau qui pouvait ruisseler du sol au-dessus.

Il ne manque pas non plus de chambres funéraires creusées dans ces falaises, ni de conduits à eau constitués sur un côté de la route pour la conserver sèche et propre et dégagée des éboulis.

La route vers Bieda se glisse sous les falaises de l'ancienne ville qui sont alvéolées de grottes funéraires, brisées et noircies de fumée. Ici et là parmi celles-ci, de grandes ouvertures droites dans la falaise révèlent l'embouchure d'antiques égouts, et on trouve par intervalle des fragments du mur étrusque le long du rebord de la falaise, à un endroit emplissant un vide naturel, comme à Civita Castellana [à 50 km au nord de Rome].

C'est une maçonnerie de blocs rectangulaires de tuf, de la taille et d'un assemblage que j'ai décrits sous le nom d'emplecton [deux parois de pierres remplies : remplage]. 

La ville antique occupait certainement une partie, peut-être la totalité, du village moderne. Elle devait être très longue et étroite, dans la mesure où la hauteur sur laquelle elle se tenait ne forme qu'une crête, une simple épine dorsale, entre les ravins parallèles.

Bieda, à l'image de toutes les villes et villages à l'écart des routes principales dans tout l'Etat Romain, est un endroit misérable, "dans une misère profonde qui s'étire dans le temps", sans osteria [taverne] où le voyageur, qui apprécie le confort, puisse s'aventurer à passer la nuit. Il n'y a qu'une maison respectable et nous y fûmes retenus par le Comte de San Giorgio qui se tenait à la porte dans l'attente de nous recevoir.

Il s'excusa de nous retarder mais dit que la présence d'étrangers était si rare dans ce village reculé, qu'il ne pouvait pas nous autoriser à passer sans s’enquérir s'il pouvait nous être utile. Nous apprîmes qu'il était de Turin, mais qu'ayant acheter des biens dans cette partie de l'Italie, il avait acquis par là-même le titre de duc de Bieda, l'honneur de la magistrature, et presque une autorité féodal sur les habitants de ce village et de son territoire. L'achat ne pouvait être effectué que dans ces termes et à condition qu'il réside six mois par an à cet endroit qu'il considérait comme un véritable exil de la civilisation.

Il montra la ruine en face, comme étant jadis le palais des Comtes d'Anguillara, les vieux seigneurs féodaux de Bieda, qui, parmi d'autres privilèges barbares, prétendaient à celui de "précéder" chaque marié dans ses prérogatives, et il insista sur le fait que le dernier de ces braves vieux gentleman romains, il y a trois siècles, fut victime de la furie populaire et son manoir fut détruit.

Toutefois, une bonne part du pouvoir de ces chefs féodaux a été héritée par l'actuel seigneur de Bieda qui nous dit qu'il disposait presque d'un pouvoir absolu, que sa volonté était la loi, qu'il avait le pouvoir de disposer des vies et propriétés de ses tenanciers, étant le juge suprême des causes à la fois civiles et criminelles, dans un pays, qu'on se le rappelle, où les procès avec jury étaient alors inconnus.

Sa règle, toutefois, semblait basée sur l'amour plutôt que sur la peur, plus proche de celle d'un chef de clan que d'une seigneurie féodale, d'une part, ou de l'autorité d'un propriétaire anglais sur ses tenanciers, d'autre part.

Le Comte se proposa courtoisement de se faire notre cicerone pour les antiquités des environs et monta son coursier pour nous accompagner.

Notre premier objectif fut un antique pont à trois arches qui se trouvait dans un ravin au sud-est de la ville. Le Comte traça la descente, à travers une étroite crevasse, enfoncée à quelque vingt pieds [6 mètres] dans le tuf, avec un chenal ou sillon au milieu, si profond et étroit que les chevaux pouvaient à peine poser un pied devant, et nous fûmes obligés d'adhérer à la maxime horacienne [d'Horace, poète romain], in medio tutissimus [au milieux c'est plus sûr], de crainte que nos jambes ne soient écrasées contre les murs de roche.

Pont ancien au pied de Bieda (dessiné par George Dennis)

Quand nous avons émergé de cette crevasse, le pont à trois arches se tenait devant nous. L'arche centrale était un véritable demi-cercle de trente pieds [9 mètres] de portée ; les arches de côté n'étaient larges que de dix pieds [3 mètres] et surhaussées. Toutes étaient formées de blocs d'aspect brut, avec des arêtes si aiguës et fraîches qu'il était difficile de croire qu'il s'agissait là de travail d'il y a deux cents ans, encore moins d'il y a deux mille ans : mais le premier pas que je posais sur le pont me convainquit de sa haute antiquité.

L'arche centrale a été coupée sur toute sa longueur, probablement par un tremblement de terre : les blocs non cimentés ont été très disloqués, mais peu sont tombés. Il est clair que cette coupure intervint à une période reculée car en traversant le pont, les voyageurs ont été obligés d'éviter les lacunes du pont, qui par endroit béent d'un à deux pieds, et, en marchant dans les pas le uns des autres, ont creusé des trous bien plus profondément que les pieux genoux l'ont fait au sanctuaire de Thomas Becket [Trinity Chapel à la cathédrale de Canterbury ou Thomas Becket, archevêque, fut assassiné près de l'autel en 1170, et est depuis révéré] ou à la Scala Santa à Rome [basilique Saint-Jean de Latran]. Le chemin creusé par l'usure passe presque complètement à travers les épaisses masses de pierre, en certains endroit totalement, soit une profondeur perpendiculaire de plus de trois pieds [1 mètre].

[note : Le pont est en tuf, normalement doux, floconneux et friable, mais ici d'un type particulièrement resserré, dur, comme cela se voit à la remarquable netteté des bossages. Et on doit noter que le pont a dû être pendant très longtemps impraticables aux animaux, car le même tremblement de terre qui a coupé l'arche a provoqué la chute de sa partie extérieure. Ceci, cependant, ayant été réparé pendant le Moyen-Age, comme l'atteste la maçonnerie, toute nécessité ultérieure de suivre le chemin usé par le passage des piétons fut évitée, bien que le pont n'ait toujours guère été praticable pour les animaux. Il est évident que le passage creux résulte totalement de l'usure de pieds humains, et antérieurement aux réparations du pont au Moyen-Age.]

Considérant l'extrême netteté de sa maçonnerie, je n'ai aucune hésitation à attribuer à ce pont une date plus tardive qu'à celui qui est de l'autre côté de Bieda. Etant donné que ce dernier est d'une maçonnerie semblable aux murs de la ville, ce pourrait bien être une construction étrusque. Le premier pourrait être aussi tardif que la domination romaine en Étrurie, quoique qu'il soit de style étrusque, et le travail probablement d'architectes étrusques, comme d'autres travaux publics à Rome et dans ses territoires élevés dans les premiers de la Ville, en conséquence du système qu'elle adopta de suppléer ses propres insuffisances dans les arts utiles et ornementaux par le savoir-faire avancé de ses voisins.

Il faut se rappeler que cette partie de l'Etrurie ne fut pas conquise avant le quatrième siècle de Rome : néanmoins les Étrusques doivent avoir eu auparavant des ponts au-dessus de ces torrents ; et le Cloaca Maxima [principal égout collecteur de Rome datant des rois étrusques de cette cité] reste pour attester qu'ils pouvaient bien plus avant élever des arches parfaites.

Ces ponts ont un air de plus grande antiquité que les deux de Véies, dont on a dit qu'ils étaient étrusques. Il est probable qu'ils aient été tous les deux sur le trajet de la Via Clodia qui passait par Blera [Bieda] sur son chemin pour Tuscania.

Le Comte déclara que le pont était une énigme dans la mesure où personne ne pouvait comprendre par quelle route il avait anciennement communiqué avec la ville, la crevasse par laquelle nous avions descendu n'étant pas estimée suffisamment antique.

Mais pour pour moi il était clair, comme les falaises s'élevaient autour de moi, que cette crevasse-même avait formé l'antique approche vers Bieda de ce côté : car j'avais observé, presque sur toute sa longueur, des traces de conduites d'eau encastrées au pied de ses murs rocheux, juste au-dessus du niveau originel de la route. Et il était non moins clair que le profond et étroit sillon le long duquel nous nous étions dirigés avec tant de difficulté avait été usé par les pieds d'animaux à travers bien des périodes dans la mesure où l'étroitesse de la route les avait contraints à toujours se tenir au milieu.

Le paysage dans le creux est très beau. Juste au-delà du pont le ravin fait à nouveau une fourche et les falaises s'élèvent jusqu'à une immense hauteur. Je ne me rappelle pas un site dans la région volcanique d’Étrurie, à part Sorano en Toscane [à 20 km au nord-ouest du Lac de Bolsena], où les gouffres sont plus profonds et le paysage plus pittoresque qu'autour de Bieda.

Près du pont se trouve une grande grotte dont les falaises qui la surplombaient était grêlées de marques de balles, ce que le Comte expliqua ainsi :"Chacun de mes tenanciers s'en retournant à la maison après la chasse au sanglier, en cas de succès, décharges son arme contre ces rochers, et moi - ou mon régisseur - je réponds à ces appels en apparaissant au sommet de la falaise et en prétendant que la cuisse du sanglier est mon droit."

Entre ces antiques ponts, et juste sous la ville, se trouve un pont moderne, surplombé par une tour ruinée du Moyen-Age, et sur la pente opposée se trouve une autre crevasse artificielle dans la roche, une autre voie étrusque.

De cette hauteur, toute la face de la pente sous Bieda est vue alvéolée de grottes, à l'origine des tombeaux, s'étendant en terrasses et en groupes éparpillés jusqu'en bas des rives du torrent. Il s'agit d'un vrai dédale de tombes utilisées par les habitants de Bieda comme soues à cochons, stalles à bétail ou celliers à vin. Leur usage pour les premières est une profanation, mais pour le dernier changement d'affectation qui va se plaindre ?

                 "Mieux vaut le raisin mousseux
                 Que d'entretenir la couvée visqueuse des vers de terre" - Lord Byron



Au sommet de la montée nous fûmes sur une plaine ondulante, apparemment un niveau ininterrompu, avec le village de Bieda au milieu.

Le Comte signala l'étendue de son domaine qui était bien trop grand pour le nombre limité de ses tenanciers. Au terme de chaque année il assemble ses vassaux, comme on peut les nommer, et ayant déterminé quelle part de sa propriété doit être cultivée et l'ayant partagée en lots, il les fait tirer pour l'obtention de plusieurs portions. Il prend une part de la production au lieu d'une rente.

A notre retour au village nous visitâmes une église en face de laquelle se tenait un sarcophage romain avec un bon bas-relief, trouvé dans le voisinage. Nous ne fûmes pas peu surpris de voir dans cet endroit isolé un authentique retable d'Annibale Caracci [Annibale Carrache, peintre italien du XVIème siècle], la Flagellation du Christ.

Au manoir du Comte nous trouvâmes un somptueux repas déployé pour nous, et refusant sa pressante invitation à rester la nuit, nous avons tâtonné notre route dans le noir jusqu'à Vetralla, achevant ainsi notre premier jour à Bieda, et l'un des plus agréables de notre voyage étrusque.

Bieda est un site qui mérite bien plus d'attention qu'il a reçue jusqu'à présent de la part des amateurs d'antiquités. Il n'y a pas de nécropole étrusque où les tombes sont creusées dans la façade des falaises en si grand nombre. Les ravins de chaque côté de la ville en abondent et elles font face à chaque point de la boussole, bien qu'ici, comme ailleurs, peu ont une orientation au nord ou à l'est. A cet égard, Les falaises situées sur le côté ouest de la ville sont alvéolées de tombes alors qu'on n'en peut voir guère une sur le côté opposé du ravin ou sur les falaises sous la ville à l'est.

Les tombes de Bieda sont particulièrement intéressantes pour la variété de leurs types. A Castel d'Asso il y a beaucoup de monotonie ; même à Norchia, avec quelques exceptions marquantes, un mode dominant est maintenu partout. Mais Bieda, sans aucune originalité propre affirmée, semble unir celles de beaucoup d'autres nécropoles.

Ici nous trouvons des tombes avec des façades architecturales, comme celles de Castel d'Asso et Norchia, mais en général modelée différemment, et dans un style plus simple et plus sévère. Ici on en a beaucoup, comme à Civita Castellana et Sutri [entre Viterbe et Rome], qui ont une simple porte sans inscription ou décoration extérieure.

Ici on trouve les niches pour les corps des deux mêmes cimetières - les tombes columbarium de Toscanella et Bolsena, et même quelque chose comme les curieuses falaises columbarium de Véies ; les tombes en forme de maisons de Sovana et certains monuments isolés taillés dans la roche, carrés ou coniques, d'un type rarement vu ailleurs. Dans un cas, il y a un banc découpé dans la roche devant une tombe, un "Siste Viator !" ["Arrête-toi voyageur !", inscription sur des tombes romaines au bord des routes] pratique, que j'ai observé aussi dans d'autres sites.

Il y a une grande variété de corniches à Bieda. L'une me frappa par sa grande particularité : elle n'avait pas de moulures arrondies mais trois distinctes fasciae [frises verticales en bordure de toit] se reculant l'une au-dessus de l'autre, et bien que non ornementale, sa simplicité et son aspect massif la rendaient très imposante. Voir la gravure fig. 3.

Moulures de tombes à Bieda

La porte moulée, qui se présente fréquemment sur les façades, n'est en aucun cas comme celles de Castel d'Asso et Norchia, mais invariablement comme dans la gravure ci-dessous. Dans la plupart des cas, il s'agit d'un simple moulage, ou pseudo porte ; dans d'autres, une vraie porte ; dans d'autres encore elle forme un cadre à une petite niche qui doit voir contenu une urne ou un vase, probablement avec les cendres du disparu.

Ces moulages de porte sont très commun en Étrurie. Sur certains sites, Cerveteri, Toscanella, Vulci et Chiusi, par exemple, on les trouve non pas sur la face des falaises, mais à l'entrée de tombeaux, à de nombreux pieds sous la surface, et parfois à l'intérieur des tombes elles-mêmes.
Porte moulée à Bieda
On les trouve aussi sur les urnes cinéraires qui ont la forme de maisons ou de temples. La forme est vraiment dorique, comme on le voit particulièrement à Bieda. On en trouve aussi dans des monuments archaïques des colonies doriques en Italie et en Sicile.

[note : à Cefalù, l'antique Cephaloedium, en Sicile, où on en trouve avec de la maçonnerie cyclopéenne, et à Canosa, l'antique Canusium, dans les Pouilles, sur une tombe de quatre chambres à tous égards extrêmement semblable aux tombes étrusques, découverte en 1828. L'architrave de celle-ci, cependant, n'est en aucun cas aussi lourde que dans les tombes étrusques, mais plus comme les doriques. Cette tombe est remarquable pour avoir deux fausses fenêtres peintes sur un mur, une de chaque côté d'une porte. De vraies fenêtres ainsi placées ne sont pas inhabituelles dans les tombes étrusques et apparaissent le plus fréquemment à Cerveteri, Bieda et Chiusi.]

On s'est demandé s'il s'agissait de la représentation d'une porte ordinaire ou d'un simple ornement funéraire, avec ou sans signification symbolique. Je n'ai aucun doute qu'il s'agit de la première, non seulement parce qu'on la trouve sur les urnes et les tombes qui sont d'évidentes représentations de maisons, mais eu égard à la grande probabilité que ces rangées et rues de tombeaux étaient conçues pour imiter les constructions de la cité en face.

Tombe conique creusée dans la roche

Parmi les variétés funéraires de Bieda, deux requièrent une attention particulière. L'une de celles-ci, qui se trouve dans un ravin à l'est de la ville, est un cône de roches, creusés en marches d'escalier, ou une série de bases circulaires qui progressent de façon dégressive vers le haut. Il ne reste que quatre tombes de ce type-ci, et le cône est tronqué, mais il n'est pas simple d'affirmer si c'était là sa forme originelle. Comme les tombes coniques de Vulci et Tarquinia, elle était probablement surmontée d'un sphynx, un lion, une pomme de pin ou quelqu'autre emblème funéraire, ou par un cippus (cippe) ou une statue.

La roche autour est découpée en tranchée et rempart. A l'intérieur du cône se trouve le tombeau qui est à double chambre, dans lequel on pénètre par un passage à hauteur du sol, qui ne se trouve pas en dessous de la surface comme dans les tombes coniques de Tarquinia. Il y a un monument à Vulci très semblable à ce tumulus taillé dans la roche de Bieda.

L'autre tombe à laquelle j'ai fait référence conserve quelques traces de couleur sur ses murs, le seul cas de cette sorte parmi la multitude de tombeaux de Bieda désormais ouverts. Elle est également remarquable pour être soutenue en son centre par une colonne, avec une base, un chapiteau et un abaque, de type simple.

Toutes les silhouettes qui ont été peintes sur ses murs sont désormais effacées : mais des rubans de diverses teintes, et le décor en vagues grec, peuvent se distinguer à travers la suie des feux de bergers qui recouvrent les murs de manière épaisse.

Les tombes de Bieda ne présentent pas de grande variété au niveau de leur intérieur. Elles sont ordinairement entourées de bancs de roche, d'environ deux pieds [0,6 mètre] et à un demi-pied du sol [0,15 mètre], parfois simplement pour recevoir des sarcophages, mais plus fréquemment creusés pour la réception des corps. Le devant de ces bancs sont ornés avec des pilastres, souvent en imitation des pieds des couches pour banquets, à la ressemblance desquelles le banc lui-même est conçu.

Les niches creusées dans les falaises sont habituellement pour des corps entiers, d'où on peut estimer que l'habitude de brûler les morts ne prévalait pas sur ce site. Les tombes à double chambre ne sont en aucun cas rares, bien que je n'aie vu aucun cas d'une tombe avec plus de deux chambres.

Lors de l'une de nos excursions à Bieda, nous changeâmes de route en passant par San Giovanni di Bieda, un misérable village à deux ou trois milles [3 à 5 km] de Bieda, au milieu d'un paysage de parc, mais avec aucune antiquité dans le voisinage.

[note : Gell a déclaré qu'il y a des tombes à cet endroit avec des moulages authentiquement étrusques, mais il est évident qu'il ne l'avait jamais visité, puisqu'il le situe " sur la route entre Vetralla et Viterbe", tandis qu'il est à trois milles de l'autre côté de Vetrala.]

Bieda, a-t-on dit, était sur la Via Clodia, ou Claudia. Cette Voie se séparait de la Voie Cassia à quelques milles de Rome, passait par Ad Careias, ou Galera, se dirigeait vers Sabate sur le Lacus Sabatinus [Lac de Bracciano], et continuait vers Forum Clodii, Blera et Tuscania, jusqu'à Cosa, où elle tombait sur la Voie Aurelia.

Plan approximatif de Bieda et de ses nécropoles

Commentaires

  1. Les dessins sont bien utiles pour s'y retrouver dans les descriptions assez complexes des paysages et monuments.
    J'ai découvert, au delà des étrusques, l'oeuvre de Carrachi et les nombreuses autres versions de la flagellation du Christ...
    Bon, il n'y a plus qu'à attendre le prochain épisode.

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