Chapitre I - Véies, la ville

           Hoc tunc Veii fuêre: quae reliquiae ? quod vestigium ? - 

           Ici pendant longtemps fut Véies: qu'en reste-t-il ? - Saluste


                  Sic magna fuit censuque virisque
           Perque decem potuit dare sanguinis annos ;
           Nunc humilis veteres tantum modo Trojam ruinas,
           Et pro divitiis tumulos ostendit avorum.

                 Comme Troie, munificente en hommes et richesses,
          Pendant dix ans prodigue de son sang, et maintenant
          Ne montrant que ruines et pour toute richesse
          Les vieilles tombes ancestrales. - Ovide


Vue générale de Véies

De toutes les cités d’Étrurie, aucune ne prend une aussi prééminente place dans l'Histoire que Véies. L'un des plus précoces, des plus proches et sans aucun doute le plus formidable des ennemis de Rome, pendant presque quatre siècles sa rivale en termes de force militaire, son instructrice en termes de civilisation et d'arts, le rempart sud de l’Étrurie, la plus riche cité de ce territoire, la Troie de l'Italie, Véies excite notre intérêt par la longueur de la lutte qu'elle soutint et par les légendes romantiques qui entourent sa destruction, aussi bien que par le lien intime de son histoire avec les temps les plus anciens et les plus émouvants de Rome.

Telle fut sa grandeur, telle fut sa munificence, que, même après sa conquête, Véies disputa à la cité de Romulus les honneurs de métropole ; et sans l'éloquence de Camille [général et homme politique romain "tombeur" de Véies], elle se serait élevée comme une Roma Nova pour être la maîtresse du monde.

Pourtant, à l'époque d'Auguste, on nous dit que la cité n'était que désolation et un siècle plus tard, on dit que son site même a été oublié. Bien que recolonisée sous l'Empire, elle retomba bientôt en total décrépitude, et pendant des siècles fut effacée de la carte d'Italie. Mais quand, lors de la renaissance des Lettres, l'attention se dirigea sur le thème des antiquités italiennes, son site devint un sujet de dispute.

Fiano, Ponzano, Martignano et d'autres endroits trouvèrent leurs respectifs défenseurs. Certains, avec Castiglioni, la plaçait à Civita Castellana ; d'autres, avec Cluverius [géographe allemand vers 1600], à Scrofano, près de Monte Musino ; Zanchi à Monte Lupolo, au-dessus de Baccano ; tandis que Holstenius, Nardini et Fabretti lui assignaient le site que de plus récentes recherches avaient établi lui appartenir au-delà de tout doute. Celui-ci est dans les environs d'Isola Farnese, un hameau, à environ onze miles de Rome, sur la droite de la via Cassia, ce qui concorde avec la distance assignée à Véies par Denys [le Périégète : écrivain grec] et la Table de Peutinger [carte géographique du monde du IVème siècle après JC].

L'antique route en provenance de Rome semble avoir laissé la Via Cassia vers la cinquième borne milliaire, non loin du tombeau appelé ordinairement, mais de manière erronée, tombeau de Néron, et avoir poursuivi un cours tortueux vers Véies. Au lieu de suivre cet ancien chemin, qu'on distingue de nos jours seulement pas les tombeaux et les tumulus qui le longent, les voyageurs poussent en général jusqu’à La Storta, le premier relais de poste en venant de Rome, et au-delà de la neuvième borne sur la Via Cassia.

A partir de là, il y a un mile et demi jusqu'à Isola par la route carrossable. Mais le visiteur, à cheval ou à pied, peut s'épargner un demi mile en prenant un sentier à travers les collines. Quand Isola Farnese apparaît, qu'il s'arrête un instant pour admirer la scène. Une large étendue de la Campagna s'étale devant lui, brisée en cet endroit en ravins ou gorges étroites qui, en modulant les lignes du paysage, la sauve de la monotonie d'une plaine, et par la présence d'étendues boisées, dissipe sa nudité et sa stérilité habituelles.

Sur une falaise escarpée, à une distance d'environ un mile, se tient le hameau d'Isola consistant en un grand château avec quelques maisons autour. Derrière s'élève le terrain qui s'allonge et s'élargit qui portait jadis les murs, les temples et les palais de Véies, mais qui est désormais une colline nue en partie bordée de bois et sans aucune habitation à sa surface.

A quelques miles de distance se trouve la colline conique en tuf de Musino, le cadre supposé d'anciens rites, l'Eleusis ou le Delphes, possiblement, de l'Etrurie. L’œil est ensuite attiré par un monticule à trois crêtes dans la plaine, au-delà du site de la cité, puis il se porte vers les triples mamelons du Monticelli et vers Tivoli qui chatoie sur les pentes sombres à l'arrière, puis il s'élève et parcourt la chaîne majestueuse des Apennins qui barrent l'horizon de leur masse gris profond, et se repose avec délice sur La Leonessa et autres fameux géants de la chaîne sabine, tous couronnés de neige.

Oh la beauté de cette chaîne ! De quelque partie de la Campagna que vous la voyez, elle présente ces contours longs et larges, ces crêtes grandioses et dominatrices ; elle conserve, même quant elle pointe au plus haut, non pas cette raideur alpine mais, en cohérence avec le caractère du pays, la dignité et l'insouciance italiennes authentiques.

Isola est un misérable hameau de maisons en ruines, sans plus de trente habitants. Même le palais qui appartient à la famille Rospigliosi tombe en ruine, et la prochaine génération trouvera probablement l'endroit inhabité. Les cavernes qui béent sur les falaises aux alentours aiguisent l'intérêt du voyageur pour les antiquités de Véies. Sur la petite piazza sont plusieurs sculptures et inscriptions, vestiges de la domination romaine.

Il est nécessaire de passer par Isola pour se rendre à l'ancienne cité car le cicerone y demeure et c'est là qu'on doit se procurer la clé de la Tombe Peinte.

Celui qui voudrait faire le tour de Véies ne doit pas s'attendre à voir de nombreux monuments du passé. N'importe quel site étrusque présente rarement moins de vestiges, pourtant peu offrent un plus grand intérêt. Véies vit dans les pages d'Histoire plutôt qu'à travers des monuments subsistants : elle n'a pas de Colisée, de Parthénon, de Pyramides - même quelques fragments à partir desquels Cuvier l'amateur d'antiquités puisse reconstruire son cadre. Le squelette même de Véies est réduit en poussière, la ville est son propre tombeau - si monumentum requiris circumspice ! (si tu cherches le monument, regarde !).

Pourtant, un endroit si auréolé de légendaire et d'Histoire ne manque pas d'intérêt. L'ombre de la gloire passée tombe sur l'esprit aussi solennellement que celle d'un temple ou d'une tour. C'est quelque chose à connaître et sentir que "là fut et n'est pas". Les sens peuvent désirer plus de vestiges pour lier le présent au passé, mais l'imagination ne doit pas ici d'être "embarrassée par manque de matière"("Comme il vous plaira", Shakespeare, Acte IV, sc. 1).

Etant donné qu'il y a de si maigres restes à Véies, peu de personnes prendront la peine de faire le tour complet de la cité, pourtant il y a trois ou quatre lieux d'intérêt que tout le monde devrait visiter : l'Arx (Citadelle), le Columbarium, le Ponte Sodo et la Tombe Peinte. En dehors de cela, il n'y a que des fragments épars de murs, le site des portes déterminé uniquement par la nature du sol et les restes de plusieurs ponts.

Je vais détailler le chemin que j'ai pris lors de ma première visite, et le lecteur, avec l'aide du Plan [à la fin de l'article], pourra suivre à la trace l'emplacement de chaque objet d’intérêt à l'intérieur ou autour des murs de Véies.

Mon guide ouvrait le chemin dans la gorge qui sépare Isola de l'antique cité, et dans laquelle se tient un moulin, situé de façon très pittoresque, avec les falaises de la cité qui le dominent, et le torrent plongeant en une cascade dans un profond ravin, masqué sous les chênes-verts.

La route vers le moulin est taillée dans le tuf qui offre des traits remarquables, étant composé de très fines strates de matière végétale calcinée alternant avec des couches de terre qui montrent l'action régulière et à période rapide de quelque volcan du voisinage, le cratère à présent éteint du Baccano ou du Bracciano.

Le lit formé par un dépôt volcanique a été recouvert par de la végétation qui a été réduite en charbon par une éruption ultérieure et enterrée sous un autre apport de matière terreuse qui à son tour a servi de terreau à une seconde poussée végétale.

La finesse des couches de charbon révèle que les éruptions sont intervenues à de très courts intervalles. Le tout est très friable, et comme cette friabilité de la roche empêchait la formation d'un réservoir à eau sur un côté, si fréquemment observé sur les routes étrusques, de petits tuyaux en poterie [qui pourraient bien être romains] furent, pour récupérer l'eau en amont, enfoncés ici à travers le tuf meuble dans l'une des falaises, et on peut en suivre la trace sur quelque distance en bas de la colline.

A partir du moulin, un sentier monte au site de l'une des anciennes portes (A sur le Plan). Près de là,  où l'on a la vue sur Isola - fournie dans la gravure sur bois qui est d'après une esquisse de l'auteur - se trouvent quelques vestiges des murs, composés de petits blocs rectangulaires de nenfro (tuf gris et assez dur).

En suivant la ligne du haut terrain vers l'est, je passais plusieurs autres fragments des anciens murs, tous de simples remblais, puis je pénétrais, à travers des collines dénudées ou des champs de maïs, au coeur de la cité. Un champ, couvert de bruyères, m'était désigné par mon guide comme le site des fouilles où fut trouvé, parmi d'autres vestiges, la colossale statue de Tibère, désormais au Vatican, et les douze colonnes ioniques de marbre qui supportent le portique de la Poste à Rome.

Ceci était probablement le forum du "Municipium Augustum Veiens" romain qui s'éleva sur les ruines de la Véies étrusque. Le Columbarium, ou tombeau romain, tout à côté, devait être en-dehors des limites du municipium qui n'occupait qu'une petite portion du site de la cité originelle : quand il fut ouvert pour la première fois, il contenait des stucs et des peintures en excellent état de préservation, mais se trouve à présent dans un état de ruine complète.

J'ai ensuite abordé une large colline, envahie d'une végétation luxuriante, où de grands chardons et bruyères se jouaient de cruauté avec les membres inférieurs, et interdiraient tout possibilité de passage au beau sexe, sauf à cheval.

J'ai continué à batailler, passant une tombe romaine, jusqu'à ce que je trouve les traces d'une ancienne route, légèrement affaissée entre des accotements. C'était la route de Rome au municipium, qui après avoir traversé le site de l'antique cité en ligne directe, tombe sur la Via Cassia.

Je la suivis sur une longue distance vers le sud à travers la colline de bruyère et ensuite dans un creux profond, encombré de fourrés, où je rencontrai de grands blocs de basalte polygonaux, comme ceux qui habituellement composent une chaussée romaine. Ceci était en-dehors des limites de la cité étrusque dans un creux étroit qui séparait la cité de son Arx (citadelle). A cet endroit se trouve un fragment des anciens murs. La route descend le long du creux vers Rome, et était probablement connue en tant que Via Veientana. Il n'y a pas de vestiges de la porte.



L'Arx

L'Arx est un plateau de faible étendue qui s'élève à pic des profondes gorges qui le bordent, excepté en un point unique où une arête étroite l'unit à la cité. Une telle position le désignerait immédiatement comme la citadelle, n'eût-elle pas conservé par tradition son ancienne désignation dans son nom moderne : Piazza d'Armi. Et sa juxtaposition et liaison avec la cité lui donnent des droits bien supérieurs pour être ainsi considérée que ceux qui peuvent être suscités par la hauteur d'Isola Farnese qui est séparée de la cité par un large creux.

Il y a aussi toute raison de croire que ceci était le site de la ville la plus ancienne. Ici seulement le fondateur de Véies a fixé son choix. La force naturelle de sa position et sa taille, le rendait apte admirablement à un établissement naissant.

Au cours du temps, alors que sa population s'accroissait, il a été conduit à étendre ses limites, jusqu'à ce qu'il embrasse progressivement la totalité du plateau attenant qui est bien trop étendu pour avoir été le site originel ; ainsi ce qui était au départ la ville dans sa totalité devint finalement simplement la citadelle.

Ainsi en fut-il avec Athènes, Rome, Syracuse et bien d'autres cités de l'Antiquité. Il se peut qu'il y ait eu un second établissement à Isola, qui puisse s'être réuni à celui de l'Arx pour occuper le site de la cité célébrée : tout comme à Rome où la ville de Romulus, confinée au début à la colline du Palatin, se réunit à une ville plus ancienne sur le Capitole, pour étendre leurs limites en tant que cité unique aux hauteurs avoisinantes et aux vallées qui les séparent.

Je fis le tour de la Piazza d'Armi et, du bord de ses falaises, je jetai un regard sur les magnifiques gorges à droite et à gauche, à travers lesquelles, bien plus bas que moi, serpentaient les deux torrents qui ceinturent Véies, et sur le plus large et encore plus beau ravin à travers lequel, après avoir joint leurs eaux, ils s'écoulent,  formant la célèbre Crémère, désormais connue comme La Valca, pour se mélanger au Tibre.

Une beauté particulière était accordée à ces gorges par les riches teintes automnales des bois qui couronnaient le bord ou revêtaient la base de leur falaises rouges et grises, le profond brun-doré des chênes, l'orange ou le rouge brillant des vignes envahissantes, le tout étant rehaussé par le contraste avec les prairies vertes en contrebas.

L’œil rencontrait rarement un signe de culture - une maison esseulée sur la falaise opposée -, aucun troupeau ou cheptel ne parsemait les prairies en-dessous : c'était la beauté sauvage d'une nature sylvestre isolée.

Bien différente fut la scène que le regard de Camille rencontra, quand il laissa flotter son regard à partir de cet endroit après la capture de Véies. Les flammes qui montaient de la cité en feu, la bataille et le massacre qui faisaient toujours rage, les cris des vainqueurs et les hurlements des vaincus ; ici, ses soldats victorieux frayant à travers le ravin des passages dans la cité, avides de butin ; là, les malheureux habitants fuyant à découvert ; cette hauteur, piquetée des tentes de l'armée romaine ; la Crémère à ses pieds descendant rougie la vallée vers le camps des Fabii [famille romaine exterminée lors d'une phase antérieure des combats entre Véies et Rome] dont il avait vengé remarquablement le massacre ; toutes ces visions et tous ces bruits firent fondre le sévère guerrier en larmes de pitié et d'exultation mélangées.

Véies, si longtemps la rivale de Rome, était tombée, et son généreux conquérant pleurait sa chute. Comme Troie, elle avait tenue dix longues années contre une armée qui l'assiégeait : et comme Troie, elle tomba à la fin seulement par l'introduction clandestine d'un ennemi armé.


Le cuniculus de Camille

L'histoire du cuniculus (tunnel, mine), ou mine de Camille, est bien connue : comment il la monta jusqu'au temple de Junon à l'intérieur de la citadelle ; comment il conduisit lui-même ses troupes à l'assaut ; comment il surprit les propos de l'aruspex (haruspice, prêtre) étrusque, devant l'autel de la déesse, déclarant au roi de Véies que la victoire resterait à celui qui accomplirait le sacrifice ; comment ils firent irruption à travers le plancher, saisirent les entrailles et les portèrent à Camille qui les offrit à la déesse de sa propre main ; comment ses troupes s'engouffrèrent dans la mine, ouvrirent les portes à leurs camarades et prirent possession de la cité.

En vérité, comme Tite-Live le remarque, "Ces choses, qui seraient plus adaptées à être mise en avant sur une scène de théâtre qui se délecte du merveilleux, ne valent pas la peine d'être prouvées ou réfutée : il faut les admettre avec une foi absolue. En matières de tels faits antiques, je considère qu'il est suffisant que ce qui semble la vérité soit reçu comme tel".

J'errais autour de l'Arx à la recherche de traces de ce temple de Junon qui était le plus grand de Véies. Les seules vestiges antiques visibles sont des fondations au bord du plateau, à l'opposé de la cité, qui pourraient être celles du temple fameux, quoique plus probablement, comme Gell (un historien) le suggère, l'infrastructure de tours qui défendaient l'entrée de la citadelle.

Plusieurs monuments funéraires ont été découverts à cet endroit : parmi ceux-ci l'un de la gens (famille) Tarquitia, qui produisit un fameux écrivain sur la divination étrusque et qui paraît, d'après telle ou telle inscription, avoir appartenu à Véies. Aucun de ces vestiges n'étaient étrusques : cela ne militent cependant en aucune façon contre l'idée que ceci était l'Arx, mais montre simplement que celle-ci était en dehors des limites du municipium romain.

Du cuniculus de Camille aucune trace n'a été trouvé. Il n'y a même pas un égout, si courant sur la plupart des sites étrusques, qu'on puisse voir sur la falaise en-dessous de l'Arx, quoique le bois dense qui recouvre la partie est de la colline puisse très bien cacher de telles ouvertures. Ces égouts doivent être envisagés comme une possibilité du cuniculus, ou que celui-ci était un simple élargissement de l'un d'entre eux pour y admettre une force armée.

Les recherches concernant le cuniculus ont peu de chances de succès. Non que je partage l'opinion de Niebuhr [historien de la Rome antique], qui doute de son existence ; car bien que ce serait folie d'accorder une totale croyance à la légende, dont même Tite-Live et Plutarque doutaient, il n'y a pourtant rien d'anormal ou d'improbable dans la façon de la capture de la cité telle que rapportée.

Quant un siège de dix ans s'est avéré inefficace, il se peut bien qu'on ait fini par recourir à la ruse. Et la roche volcanique friable du site offrait toute facilité pour creuser des tunnels. Mais si le cuniculus a été amorcé dans la plaine au pied de la hauteur, il ne serait pas facile d'en découvrir l'ouverture. L'entrée serait probablement près d'un conduit perpendiculaire ou puits, communiquant avec un passage souterrain conduisant vers l'Arx.

[Dans une longue note de bas de page, George Dennis justifie son opinion sur le cuniculus contre Niebuhr et un autre historien, Holstenius.] 


La Scaletta

En retournant dans la dépression à travers laquelle passe la Via Veientana, mon regard fut attiré par une curieuse volée de marches, haut sur la falaise sur laquelle la cité se tenait. Je grimpai jusqu'à elles et je découvris qu'elles étaient faites de maçonnerie non cimentée, trop grossière pour être du travail romain, et d'aspect similaire aux murs de la cité étrusque : par conséquent, je ne doute absolument pas que ceci était un escalier menant à une poterne de l'antique Véies.

La partie inférieure étant tombé avec la falaise, seuls ces huit marches supérieures demeurent, et elles ne vont pas rester longtemps, car des arbustes qui ont entrelacé leurs racines avec les blocs non cimentés les précipiteront bientôt dans le ravin.



Ce singulier escalier, La Scaletta comme l'appellent les paysans, vint au jour en 1840, du fait que la terre qui le dérobait à la vue avait été emportée par des pluies inhabituellement intenses. Il est indiqué par P sur le Plan.

A partir de l'Arx la ligne des murs se dirigeait vers le nord, comme les falaises le signalent. Je passai quelques fouilles dans les rochers et le site de deux portes (note : La route à partir de la seconde porte - F sur le Plan - va, en passant devant le Tumulus de Vaccareccia, vers Pietra Pertusa, une remarquable trouée à travers un rocher près de la Via Flaminia et à quatre miles de Véies. Le rocher présente l'apparence d'une île surgissant de la plaine, qui semble avoir été à l'origine un lac.), et à la fin j'atteignis un bois, sous lequel, sur les rives du torrent, se trouve un morceau de terrain accidenté qui présente de curieuses traces des temps anciens.


Columbarium - Ponte Sodo

C'est un endroit très pittoresque, enfoui au coeur des bois et jonché de masses de rocs gris, dans une confusion sauvage, empli tombes fouillées - littéralement alvéolé de niches, d'où son appellation de "Il Columbario".

A un endroit, la roche est évidée en une chambre d'une taille inhabituellement petite, avec l'espace pour un unique sarcophage (voir la xylographie [ci-dessus], d'après une esquisse de l'auteur). Les niches sont de formes variées, certaines pas différentes des étrusques, mais toutes, il me sembla, de facture romaine.

Les plus anciennes tombes étrusques de Véies sont des chambres creusées dans la roche avec des banquettes taillées dans la pierre pour des corps ou des sarcophages.

Comme la ville fut désertée peu après sa capture en l'an de Rome 358 [la chronologie de l'auteur semble démarrer à la fondation de Rome], tous ses tombeaux étrusques doivent être d'avant cette date et beaucoup de niches à l'intérieur des tombes sont probablement de haute antiquité, aussi bien a-t-on trouvé dedans des vases, des miroirs et d'autres objets de type purement étrusque.

Les niches plus petites servaient à conserver des lampes, des vases à parfum, des urnes cinéraires ou des offrandes votives, et celles de forme allongée contenaient les corps des morts. Mais les niche face à ces falaises ont des particularités qui les signalent comme étant d'origine romaine, particulièrement le trou creusé à l'intérieur des niches pour un olla ou vase cinéraire, comme dans les columbariums romains, dont les exemples sont très rares dans les cimetières étrusques.

[note : l'historien Abeken considère ces niches comme romaines en raison des inscriptions trouvées sur place.]

Beaucoup d'entre eux sont découpés dans les murs de rocher qui flanquent une ancienne route enfouie dans une masse de tuf à une profondeur allant de douze à quinze pieds. De telles routes sont communes dans le voisinage des cités étrusques : plusieurs autres exemples se présentent autour de Véies.

Dans ce cas, une partie du pavement polygonal demeure avec ses bordures de pierre et les ornières creusés par les antiques chars sont visibles. Sur le haut du rocher, sur un côté, il y a des restes de murs, ce qui démontre que ceci est le site de l'une des portes de la ville (G dans le Plan).

La toute conduisait directement du Formello à la porte et avait à l'évidence traversé le torrent grâce à un pont. Celui-ci n'est plus en place ; mais plusieurs blocs de tuf taillés gisent dans l'eau et un peu plus en amont du torrent, sur le côté opposé à la cité, il y a un morceau de mur qui a sans doute aucun été la pile du pont.

(note : marqué R sur le Plan. Elle est haute de 5 ou 6 pieds, de petits blocs de tuf cimentés,..., et est en apparence beaucoup plus nette et moderne que l'habituelle maçonnerie étrusque. Pourtant c'est peu vraisemblablement de l'ouvrage romain tardif et ressemble plus aux restes de l'agger [muraille, levée de terre] de Servius Tullius [roi romain du VIe s.] ,dans les jardin de Salluste [homme politique romain] à Rome. Canina [architecte, archéologue du XIXè s.], qui donne un dessin de cette pile (...) la représente comme une sorte de maçonnerie très commune dans les site étrusques primitifs, et que je considère être l'emplecton [type de maçonnerie] de Vitruve [architecte et écrivain romain].)

J'ai continué de suivre le cours supérieur du Formello vers le Ponte Sodo. Les rives du torrent, sur le côté intérieur ou côté de la cité, s'élèvent de manière abrupte, rocheuses et frangées de bois, le frêne, le hêtre et l'yeuse surgissant des rochers gris et se suspendant en teintes variées au-dessus du torrent.

Ici et là, au bord de la pente, des portions des anciens murs pointent à travers le feuillage. Parmi eux se trouvait un grand fragment de muraille emplissant une cavité naturelle dans la falaise.

[note : Canina donne une illustration de cette partie de mur [...]. Il le considère comme une partie des fortifications primitives de Véies, datant de quelque neuf ou dix siècles avant Jésus-Christ.] 

De l'autre côté, se trouvaient des monticules nus et renflés où l'on voyait l'entrée de grottes, les tombes de l'antique Véies, désormais à moitié engorgées de terre. Une seule tombe, la Grotta Campana, qui sera particulièrement détaillée au chapitre suivant, reste ouverte à présent. On voit là également plusieurs caveaux de construction romaines en réseau.

Il serait facile de passer le Pont Sodo sans l'observer. On dit que c'est un pont : mais c'est une simple masse de rochers percée pour laisser le passage au torrent. Qu'il soit globalement ou que partiellement artificiel peut être discuté. C'est cependant de toute probabilité un creusement étrusque, un tunnel dans la roche, long de deux cent quarante pieds, douze ou quinze de large et près de vingt de haut.

De dessus, il n'est pas visible. Vous devez l'observer des rives du torrent. Vous le prenez d'abord pour une formation naturelle, mais il présente une droiture et une régularité qui montrent qu'il est artificiel. Les abruptes falaises de tuf, jaunes grises ou blanches, surplombées d'yeuses, de lierre et de broussailles ; le tunnel profond, à l'ouverture sombre parcourue éventuellement d'un rayon de soleil, et miroitant au-delà, les masses de roches couvertes de lichen qui étouffent le torrent, lui confèrent un charme, indépendamment de son caractère antique.

(note : Sodo, ou massif, est un terme communément appliqué aux ponts naturels ou à ceux qui par leur caractère massif leur ressemblent. Gell pense que le profond creux à travers lequel le Formello coule à cet endroit n'était pas son lit originel, mais je ne pus voir aucune trace d'une cour plus ancien et suis enclin à croire au caractère naturel du creux par lequel le torrent approche du Ponte Sodo et de penser qu'il y avait un passage naturel à travers la roche, élargi artificiellement pour éviter les conséquences désastreuses des inondations d'hiver. Canina croit que le Ponte Sodo est artificiel.

Nibby [archéologue italien] déclare le Ponte Sodo long de 70 pieds. Il ne l'a sûrement pas mesuré comme je l'ai fait, en y barbotant . Il n'est pas creusé nettement, quoiqu'il soit possible que la surface originelle de la roche ait été abîmée par la précipitation de l'eau à travers le tunnel, car le cours d'eau à certains moment gonfle en un torrent, emplissant la totalité du canal, comme le prouvent des troncs d'arbres logés dans des fissures de la roche près du toit, ce qui rappelle à tout un chacun qu'il s'agit du Cremera rapax d'Ovide. 

Il y a deux conduits oblongs dans le plafond, avec des niches découpées à l'intérieur pour descendre de la partie supérieure, précisément le même type de conduits que l'on voit dans les tombes à Civita Castellana, Falleri et autres sites étrusques. Ici il ont dû être faits pour pouvoir poursuivre les travaux en plusieurs endroits en même temps. Il y en a un troisième à l'entrée supérieure du tunnel, mais qui ne lui est pas relié, car il s'enfonce dans l'égout qui traverse la bouche du tunnel en diagonal, ce qui montre que ce dernier est une construction postérieure au système de canalisation présent dans la cité. Gell prit par erreur l'égout pour un aqueduc et les conduits pour des puits par lesquels les habitants puisaient de l'eau.

A ce bout du tunnel, le toit est découpé selon la forme d'un pignon régulier et est d'une bien plus grande hauteur que le reste ; il continue ainsi seulement sur trente ou quarante pieds comme si le plan original avait été abandonné.)


Les murs de Véies

Au-dessus de ce pont naturel se trouve un monticule informe au milieu d'une ancienne chaussée. Gell y voit les ruines d'une tour carrée, bien qu'il faille une vive imagination pour percevoir de telles traces dans cette masse couverte de verdure ; pourtant, de par sa position et à partir de fragments de muraille non loin, il est évident que c'était le site d'une double porte (H dans le Plan).

[note : des portes doubles comme celle-ci étaient choses courantes en Italie : la Porta Carmentalis de Rome, les portes à Pompéi et Segni, par exemple, et n'étaient pas inconnues des Grecs, étant représentées sur des monuments et mentionnées par leurs écrivains. On peut s'interroger cependant si le pluriel appliqué aux portes, comme les célèbres Portes Scées de Troie, fait référence à une porte comme celle-ci ou à une porte avec un double portail relié par un passage, comme la Porta all' Arco de Volterrra.

Canina penche pour cette dernière. Le pluriel s'appliquerait aussi à une porte unique avec des portes qui se replient : portae bipatentes.]

On peut repérer ces fragments sur les deux côtés de la porte. A gauche ils s'élèvent haut et forment la revêtement d'un agger, ou levée de terre, qui s'étend le long du bord de la pente sur une distance considérable.

Les blocs sont plus petits qu'à l'accoutumé dans les cités étrusques, étant profonds de seulement seize pouces [40 centimètres] et longs de dix-huit à vingt-quatre [45 à 60 centimètres] ; il y a cependant peu de doute que cela était les fortifications fameuses de jadis - egregii muri - de l'étrusque Véies.

Une partie des environs a été décrite et retracé par Gell comme étant composé d'immenses blocs de tuf de dix ou onze pieds de long [3 à 3,30 mètres], posés sur des couches de fines briques d'un yard de long [90 centimètres]. Encore une fois, j'ai battu la campagne en long et en large à la recherche de ce singulier fragment de maçonnerie mais je n'ai jamais été assez heureux pour buter dessus, ni n'ai rencontré qui que ce soit qui l'ait vu.

Ces dernières années, le bois a été grandement éclairci de ce côté de la cité, mais on cherche toujours vainement ce fragment, et qu'il ait été réduit en pièces par les passants, ou qu'il soit caché dans quelque impénétrable buisson épineux, je ne saurais dire.

Un peu au-dessus du Ponte Sodo, à l'endroit ou le sol s'enfonce vers le bord du torrent, et où de nombreux creux dans les rives rocheuses indiquent les endroits d'où les blocs ont été extraits pour la construction de la cité, j'ai observé, sur la rive gauche, un fragment de muraille avec les mêmes caractéristiques que celle décrite par Gell, et plus massive que tout autre, que j'avais vues à Véies.

De par sa position eu égard à la porte, qui peut être ici tracée sur la rive côté cité du torrent, elle a de toute évidence formé la pile du pont. Sa largeur était de dix pieds [3 mètres environ] . Le bloc le plus important faisait seulement trois pieds neuf pouces [115 centimètres environ] par deux pieds quatre pouces [70 centimètres environ], mais cela était énorme par comparaison avec ceux des murs de la cité.

L'absence de mortier prouve son antiquité. Le tout reposait sur trois couches de longues briques cuites au soleil, ou tuiles. (note : ceci est marqué S dans le Plan. Lors d'une visite ultérieur, je fus peiné de voir que cette pile avait été presque détruite. Canina fournit un dessin de cette pile.) Pourtant leur situation n'était pas la preuve de l'ancienneté de leur installation, car elles pourraient avoir été introduites en des temps postérieurs pour réparer les fondations, de même que les murs massifs de Volterra sont ça et là soutenus pas de la maçonnerie moderne.

Il n'y a rien, cependant, dans le matériau, qui milite contre l'ancienneté de la structure. Les briques étaient utilisées dans les âges les plus reculés et dans la plupart de l'ancien monde.

[note : selon Sanchionaton [auteur phénicien vers 2000 avant JC], les briques furent inventées avant que l'humanité ait appris à construire des villages ou à s'occuper de troupeaux. La Tour de Babel était construite en briques. Nous avons le témoignage de Moïse également en ce qui concerne leur usage précoce en Egypte, corroboré par des monuments subsistants : et Hérodote nous informe que les murs de Babylone étaient construits en briques. Pour leur utilisation en Grèce, voir Pausanias ; et dans d'autres pays, voir Vitruve et Pline.]

Les Étrusques si habiles en poterie, devaient connaître leur utilisation : on dit qu'Arretium [Arezzo, en Toscane],  l'une des cités de la Ligue [étrusque] était entourée de murs de briques ; et nous savons que les habitants de Véies en particulier étaient réputés pour leurs productions de terre cuite.

Si les briques de cet élément de maçonnerie faisaient réellement partie de la structure originale, elles amènent à suspecter que les murs des autres cités étrusques aient pu être formés en partie des mêmes matériaux qui, quand les cités tombèrent en ruine, auraient constitué une carrière pour la constructions des villages. La destruction des fortifications étrusques, cependant, dans la région volcanique de cette terre, peut être expliquée sans cette supposition : la petite taille, la légèreté, et la facilité à les fendre, des blocs de tufs qui composent les fragments subsistants, ont dû à toutes époques créer une tentation à les employer à d'autres fins.


Ponts antiques - grandeur passée

Environ trois quarts de mile [1.200 mètres] au-dessus du Ponte Sodo se trouve un autre pont, appelé Ponte Formello, dont les piles sont en nenfro [tuf gris], sans aucun doute ancien, peut-être de construction étrusque, quoique pas de la période la plus ancienne ; mais les arches existantes sont un ouvrage de brique médiéval. La route qui traverse le Formello par ce pont poursuit jusqu'au village de Formello et à Monte Musino, distants de six miles [10 kilomètres].

En traversant le pont et en suivant la ligne des anciens murs ainsi que l'indique la nature du terrain, j'arrivais à présent à un chemin de traverse, taillé dans les rives de tuf et qui conduisait dans la cité. (Porte K). C'est clairement une ancienne voie : il y a cinquante ans son pavement était intact, mais du fait des chapardages des paysans, il ne reste actuellement guère de blocs.

La route qui traverse le Formello poursuit en ligne directe, sur un demi-mile [800 mètres] jusqu'au Ponte dell'Isola, un pont sur le Fosso de' due Fossi, le torrent qui baigne les murs sud de Véies. Les murs de la cité suivaient la ligne de la rive à gauche, qui se tourne vers le moulin, tandis que la route conduit directement au Ponte dell'Isola.

Celui-ci est un pont pittoresque avec une seule arche de vingt-deux pieds [environ 6 mètres 50] d'envergure. Les spécialistes de l'Antiquité l'ont jugé très ancien, lié au plan originel de la ville. Mais à mes yeux, la très petite taille des blocs de pierre et le mortier utilisé dans sa construction, s'opposent à une antiquité si haute.

Un doute peut s'élever concernant l'ancienneté de ces ponts à Véies, aussi bien que pour tout autre qui se réclame d'une origine étrusque, considérant qu'aucun pont de pierre n'a été érigé à Rome avant l'an 575, date du Pont Aemilius, longtemps après la totale soumission de l'Etrurie et plus de deux siècles après la prise de Véies.

Est-il possible que les Romains, s'ils trouvèrent de telles structures existant dans les terres conquises, aient pu se retenir d'introduire de tels ajouts à la beauté et à la commodité de la Ville ? Comment auraient-ils pu demeurer satisfaits pendant des siècles avec un seul pont, et encore de bois ? Mais on doit se rappeler que le Tibre était l'un des remparts de Rome ; que le Pont Sublicius était équivalent à un pont-levis, étant construit de sorte à être rapidement démonté en cas d'urgence ; qu 'il était entretenu dans son état ligneux comme un devoir religieux et confié au soin particulier des prêtres, qui de là tirèrent leur noms de pontifices.

Et ce n'est pas avant la conquête de l'Etrurie, la chute d'Hannibal et quand toute crainte d'un ennemi aux portes de la Ville fut supprimée qu'un pont permanent fut construit. Les Romains de cette époque n'avait nul besoin d'aller au-delà de leurs murs pour un modèle d'arche en pierre : ils l'avaient eu depuis bien longtemps au Cloaca Maxima.

A partir du Ponte del'Isola, un chemin mène au moulin. A ce point, j'avais achevé le tour de Véies. Gell lui attribue plus de quatre miles [6,4 kilomètres] de circonférence, mais sa propre carte lui confère une bien plus grande surface. Nibby semble plus près de la vérité en lui attribuant sept miles [11 kilomètres environ] de circonférence, ce qui concorde plus justement avec l'affirmation de Denys que Véies équivalait en taille à Athènes, dont on disait avoir fait soixante stades de circonférence, soit sept miles et demi, ou selon une plus petite estimation de dix stades pour un mile - le stade ordinaire pour les périples en Grèce -, six miles [9,6 kilomètres] de tour. La Rome de Servius Tullius, que Denys [le Périégète] compare aussi à Athènes, était à peu près de la même étendue.


Désolation actuelle

Ainsi est donc Véies, jadis la plus puissante, la plus riche cité d'Étrurie, célèbre pour sa beauté, ses arts et son raffinement, qui en taille égalait Athènes et Rome, qui en termes de force militaire n'était pas inférieure à cette dernière et qui par son emplacement, fort par nature et presque imprenable par art, et pour la munificence de ses bâtiments et l'étendue supérieure et la fertilité de son territoire, fut préférée par les Romains à la Cité Éternelle même, même avant la destruction de cette dernière par les Gaulois, à présent vide et désolée, sans une maison ou un habitant, ses temples et ses palais ramenés au niveau de la poussière, et rien à part quelques fragments de murs et quelques tombeaux vides qui restent pour dire au voyageur qu'ici était Véies. La charrue passe sur son sein et le berger fait paître son troupeau sur les débris qu'elle enserre.

Tel cela devait-il être dans les premiers temps d'Auguste, car Properce [poète romain du 1er siècle avant JC] dépeint une scène similaire de déchéance :

Véies, bien que tu aies eu de longue date une couronne royale,
Et qu'en ton forum se tint un trône d'or !
Tes murs à présent ne renvoient que la trompe du berger
Et sur tes cendres, ondule le blé d'été.

Lucain [poète romain du 1er siècle après JC] parle aussi de sa désolation :

A peine si des ruines recouvertes de poussières 
Seront à même de révéler Gabies, Véies et Cora

Comment expliquer cet abandon ? La cité ne fut certainement pas détruite par Camille, car la magnificence extrême des bâtiments publics et privés pouvait tenter les Romains de déserter les Sept Collines [de Rome]. Mais après la destruction de Rome par les Gaulois, Véies fut abandonnée, conséquemment au décret du Sénat menaçant du plus sévère châtiment les Romains qui resteraient à l'intérieur de ses murs.

Et il se peut que l'hypothèse de Niebuhr soit correcte, à savoir qu'elle fut détruite pour fournir des matériaux pour la reconstruction de Rome, quoique la distance exclurait le transport de plus d'éléments que les seuls ornements architecturaux.

 Sa dévastation doit être due soit à la politique de Rome qui interdit d'y habiter ou à la malaria [note : Denys (le Périégète) nous dit que l'air de Véies était très sain ce qui est plus qu'on ne peut en dire à présent : certains habitants d'Isola sont constamment affligés de la fièvre de la malaria] ; sinon, on n'aurait pas admis qu'une cité qui présentait autant d'avantages au point d'avoir presque induit les Romains à quitter leurs foyers et les tombeaux de leurs pères, tombe en ruine totale et demeure ainsi pendant presque quatre siècles.

Les Romains cessèrent très probablement de maintenir la haute culture de son territoire et il devint insalubre, tel qu'aujourd'hui. Ce fut le cas avec la Campagna en général qui au tous premiers temps était constellée de villes, mais qui sous la domination romaine devint, ce qu'elle est restée depuis : un désert dont la grande étendue est rarement rompue par un habitat.

Le temps s'étant écoulé, le site fut à nouveau colonisé par Auguste : mais la gloire de Véies s'était enfuie : la nouvelle colonie occupait à peine un tiers de l'a zone de l'ancienne cité et lutta pendant un siècle pour son existence jusqu'à ce qu'à l'époque d'Hadrien elle s'enfonce à nouveau dans la décadence.

Il est néanmoins difficile d'apporter crédit à l'assertion de Florus [historien romain], selon laquelle son emplacement même fut oublié :" Ceci alors était Véies ! qui à présent se souvient de son existence ? Quelles ruines, quelles traces en reste-t-il ? A peine pouvons-nous croire nos annales, qui nous indiquent que Véies fut."

[note : la colonie romaine, le Municipium Augustum Veiens des inscriptions n'a jamais pu être d'une grande importance, quoique les inscriptions mentionnent plusieurs temples, un théâtre et des bains ; car Strabon (géographe antique), qui écrivit pendant le règne de Tibère, en parle comme d'un endroit insignifiant à son époque, comme l'un des petites bourgades populeuses d’Étrurie.]

Car les inscriptions trouvées sur place nous disent que la colonie continua d'exister jusqu'au quatrième siècle de notre ère.

J'ai donc désormais décrit ma première promenade autour de Véis : mais j'ai passé bien des jours, et en toutes saisons, à errer sur le site et autour des murs de cette cité jadis fameuse. J'avais accoutumé de prendre mes quartiers à la Storta et de me me mettre en marche au lever du jour, un repas léger en poche et une gorgée de la Crémère, je veillais à ne pas m'en retourner avant que le paysage ne soit couvert des ombres pourpres du soir.

Chaque fois que je visite Véies, je suis frappé par les rapides progrès de la destruction. Nibby et Gell mentionnent de nombreux vestiges qui ne sont plus visibles. Le site à moins à montrer année après année. Même la maçonnerie, comme la pile du pont sur le Fosso di Formello, qui par son caractère massif pourrait sembler défier les chapardages des paysans, est mis en pièce et les blocs enlevés pour former des murs de maisons quelque part ailleurs, si bien qu'avant longtemps il se peut qu'on dise de Véies : "Ses ruines-mêmes ont péri " - etiam perire ruinae.


Vie de berger dans la Campagna

A l'occasion, lors de mes déambulations sur ce site, j'ai pénétré, soit par curiosité soit pour m'abriter, dans une de ces capanne éparpillées sur les collines. Ce sont de hautes huttes coniques couvertes de chaume dont les bergers font leur demeure d'hiver. Car en Italie, les basses terres étant généralement insalubre en été, les troupeaux sont conduits dans les montagnes vers le mois de mai et dès que les grandes chaleurs sont passées, sont ramenées vers les pâtures plus riches des plaines.

L'intérieur d’une capanna est  un spectacle curieux. Un peu d'audace est requis pour passer à travers l'attroupement de chiens, blancs comme des agneaux nouveaux-nés, mais grands et féroces comme des loups qui, si le berger ne les tient pas, mettraient en pièces quiconque se risquerait à approcher la hutte. Mais avec l'un des pecoraj comme Teucros [héros homérique], rien n'est à redouter.

Les capanne sont de tailles variées. L'une dans laquelle je pénétrai non loin de Véies faisait un diamètre de trente ou quarante pieds [9 à 12 mètres] et presque autant en hauteur, soutenue en son centre par deux mâts grossiers entre lesquels un trou est laissé dans le toit pour que la fumée s'échappe.

A l'intérieur gisait un grand tas d'agneaux - il pouvait y avoir une centaine - tués ce matin et déjà écorchés, un bon nombre de bergers s'activaient sur les carcasses d'autres : tous ceux-ci devaient être acheminés aussitôt au marché romain.

Bien qu'un terrible soleil de mai brûlât à l'extérieur, un grand feu ronflait au milieu de la hutte : mais cela était destiné à la ricotta qu'on était en train de préparer dans une autre partie de la capanna.

S'y trouvait un grand chaudron, empli de lait de brebis bouillant. Chaud, ce lait caillé est une gelée délicieuse et m'a souvent donné envie d'entrer dans une capanna pour en avoir, au grand étonnement des pecoraj, pour qui c'est "vilior algâ" [expression latine proverbiale : chose de peu de cas]. Maître du chaudron, un homme distribuait à ses camarades des louchées du riche repas bouillonnant et ils apportaient leurs bols pour leur ration du matin.

Il variait ses occupations en versant la même chose dans des petit paniers dans lequel on la porte au marché : la partie liquide s'évacue à travers l'osier et le résidu se caille en refroidissant. Sur la même planche se trouvaient les fromages fait auparavant avec la crème.

Dans cette hutte vivaient vingt-cinq hommes, leurs membres inférieurs vêtus de peau de chèvre, les poils tournés vers extérieur, rappelant les satyres des anciennes fables ; mais ils n'avaient pas de nymphes à tourmenter, ni de bergères à courtiser, et jamais :

                                           "ils n'étaient assis des jours entiers
                            À jouer de pipeaux d’avoine, et à versifier l’amour
                            Pour l’amoureuse Phillida."

[Shakespeare ; Songe d'une nuit d'été ; Acte 2 , scène 1]

C'était une bande de célibataires, sans en avoir fait les vœux. Dans de telles huttes, ils demeurent toute l'année, écorchant les agneaux ou tondant les moutons, vivant de pain, de ricotta et d'eau, goûtant très rarement de la viande ou du vin et dormant sur des étagères disposées autour de la hutte, comme des couchettes dans la cabine d'un bateau. Ainsi les rêves d'Arcadie sont-ils dissipés par la réalité !


Guerres de Véies avec Rome

Mais revenons à l'histoire primitive de Véies.

[note : il a été suggéré par Orioli que Véies peut venir de Vedius, ou Vejovis, l'une des divinités étrusques, de même que Mantoue tire son origine d'une autre, Mantus. D'après Festus (grammairien latin), Veia est un mot osque (langue italique méridionale) signifiant "plaustrum", un chariot ; d'où probablement "veho" (véhiculer, charrier).]

On peut inférer du degré de pouvoir qu'elle atteignit au temps de Romulus qu'elle fut une des plus antiques cités d’Étrurie.

[note : elle est appelée "antiquissima et ditissima civitas" (cité très ancienne et très riche) par Eutrope (historien romain). Véies n'est pas mentionnée par Virgile parmi les cités d’Étrurie au temps d’Énée, mais on ne peut rien vraiment déduire de cela contre son antiquité, voyant que le poète est également silencieux sur Arretium, Perusia, Volsinii, Rusellae et Volterra, dont certaines existaient assurément à cette période, comme Perusia, traditionnellement (considérée comme) très ancienne et Volterra dont la colonie - Populonia - est mentionnée par Virgile.]

On ne peut douter qu'elle fut l'une des Douze de la grande Confédération Étrusque. Sa vaste taille, supérieure à chacune de celle des autres cités étrusques dont les limites peuvent être établies ; la grande étendue de son territoire et les nombreuses villes qui en dépendaient ; son pouvoir, son opulence et sa magnificence le rendraient suffisamment évident, sans le témoignage exprès de Tite-Live et Denys (le Périégète) à ce propos.

[note : le territoire de Véies, avant qu'il ne soit réduit par les Romains, s'étendait au sud et à l'est du Tibre et au sud-ouest vers la mer, embrassant les Salinae, ou salines, à l'embouchure de la rivière. A l'ouest, il touchait au territoire de Caere quoique que la ligne frontalière ne soit pas définie. Müller [Karl M. : archéologue allemand du XIXème siècle] est d'avis que Sabate, sur le lac de Bracciano, se trouvait sur le territoire de Véies et que même Sutrium et Nepete y étaient inclus. Au nord il touchait à l'Ager Faliscus. A l'est, il doit avoir englobé toute la région au sud de Soracte et à l'est vers le Tibre ou, en d'autres termes, l'Ager Capenatis, parce que Capena était une colonie de Véies. Et Feronia, sous Soracte, était aussi dans l'Ager Capenatis ; Fidenae était aussi une colonie de Véies. De l'Ager Veiens nous savons de plus qu'il produisait un vin rouge de qualité inférieure, trop mauvais pour être bu lors d'occasions festives. Pline parle d'une pierre précieuse trouvée à Véies - Veientana gemma - qui était noire bordée de blanc. Peut-être de l'onyx.]

De l'histoire de Véies nous ne connaissons pas plus que ses combats avec Rome. C'est l'une de ces nombreuses cités de l'antiquité dont les chroniques ne sont tissées que de guerres, des traces sanglantes à travers le champ de l'histoire. Pendant que nous regrettons que la connaissance de celles-ci se circonscrit à de tels événements, nous devrions nous rappeler que, si de telles guerres n'avaient pas fait l'objet de chroniques, le nom même de ces cités ne serait probablement jamais venu jusqu'à nous.

Toutes les mentions de Véies que nous trouvons chez les anciens écrivains la présente comme l'adversaire de Rome. Pas moins de quatorze guerres avec cette puissance sont consignées. Les citoyens de Véies sont nommés par Florus "les incessants et annuels ennemis de Rome" (assidui vero et anniversarii hostes).

Les six premières guerres eurent lieu avec les Rois de Rome, et comme en toute cette histoire c'est l'homme - et non le lion - qui peint l'image, on nous dit que les monarques romains furent toujours vainqueurs, soit contre Véies seule, soit contre les forces unies de l'Etrurie.

[note :  On dit en effet que Tarquinius Priscus, conquit la totalité de l'Etrurie qui en gage de soumission lui envoya l'insigna étrusque d'autorité, dès lors adoptée par les Romains. Neibuhr questionne à juste titre la vérité de cette tradition de la conquête de l'Etrurie par Tarquin, qui n'est pas signalée par Tite-Live ou Cicéron : il pense pourtant que l'union de Rome avec l'Etrurie peut être vu en cela. Il semble probable que cette conquête fut une invention des vieux annalistes, pour rendre compte de l'introduction des symboles étrusques de royauté - les douze licteurs avec leurs faisceaux, la couronne d'or, la chaise d'ivoire, la robe pourpre, le sceptre orné d'un aigle - qui furent traditionnellement adopté à peu près à cette époque. Mais il serait plus raisonnable d'expliquer leur introduction par l'accession d'un prince étrusque au trône de Rome.]

Septième guerre. En l'an 245 Véies se joignit à Tarquinia pour tenter de remplacer Tarquin le Superbe sur son trône. Ils rencontrèrent les forces de la jeune République près du Bois d'Arsia [bois sacré] : Aruns, le fils de Tarquin, et Brutus, le premier Consul, s'empoignèrent mais la victoire resta indécise.

La nuit suivante, une voix surnaturelle, dont on pensait qu'elle était celle du dieu Silvanus, fut entendue en provenance du bois : "Les Étrusques ont perdu un homme de plus dans le combat : par conséquent les Romains sont les vainqueurs" .

Cette guerre se termina par la fameuse marche de Porsenna [roi étrusque de Clusium, Chiusi en italien] sur Rome. Les événements romantiques de cette campagne sont trop bien connus pour qu'il soit besoin de les mentionner.

               "Comment Horatius [Coclès] réussit à garder le pont [Sublicius 
                                                              qui contrôlait l'entrée dans Rome] 
                Aux jours glorieux de jadis,"

comment [Mucius] Scaevola brava le feu [en mettant sa main droite dans le brasier pour prouver la détermination romaine] et Clélie l'eau [otage romaine qui se jette dans le Tibre pour échapper à Porsenna] et comment le chef de Clusium s'efforça d'égaler ces hauts faits héroïques par sa magnanimité chevaleresque [il décida de libérer Clélie] : tous ces événements nous sont aussi familiers que des propos de tous les jours.

En l'an 272 la neuvième guerre avec Rome éclata, durant laquelle survint le plus intéressant incident des anales de Véies.

En 275, la guerre continuant, les citoyens de Véies réussirent même à un moment à menacer la Ville même [Urbs, Rome] qui subissait en même temps la pression des Eques et des Volsques [les Eques vivaient au nord-est du Latium et les Volsques au sud]. Rome manifesta alors un exemple de dévotion patriotique comme peu d'époques en ont produits.

Caeso Fabius, le consul et chef de la plus noble et la plus puissante des gentes [familles] romaines, se leva au Sénat et dit : "Vous savez bien, Pères Conscrits, que pour tenir les gens de Véies sous contrôle on a besoin d'une garnison permanente plutôt que d'une armée puissante. Voyez ce qu'il en est avec nos autres ennemis. Laissez les Fabii s'occuper des gens de Véies. Nous nous emploieront à relever la majesté du nom de Rome. La République a besoin d'hommes et d'argent ailleurs : que cette guerre soit à notre charge."

Le jour suivant, toute la gens des Fabii, au nombre de trois cent six, tous de sang patricien, marcha hors de Rome, le consul lui-même à leur tête, parmi l'admiration, les prières et les cris joyeux des citoyens. Une seule famille part affronter une peuple entier, le plus puissant d’Étrurie ! "Jamais, dit Tite-Live, jamais une armée si modeste par le nombre, ou si grande par ses actes, et dans l'admiration de ses concitoyens, n'avait défilé dans les rues de Rome."

[note : Denys dit qu'il y avait bien 4.000 personnes dans le groupe, la plupart des clients et des amis, et 306 seulement de la gens fabienne. Festus (historien latin du IVè siècle) dit aussi qu'il y avait quelques milliers de clientes. Niebuhr pense que ces deux déclarations sont grandement exagérées. Aulu-Gelle (auteur latin du IIè siècle] dit qu'il y avait 306 personnes "avec leurs familles."]





Quand il atteignirent la Crémère [affluent du Tibre au nord de Rome] ils plantèrent leur campement sur une colline entourée de précipices qu'ils protégèrent de plus par un double fossé et de nombreuses tours. Ils s'y maintinrent pendant une année en dépit de tous les efforts de leurs ennemis pour les déloger, ravageant les terres de Véies en long et en large et mettant en déroute les forces envoyées contre eux, jusqu’à ce qu'en l'an 276 le Consul Aemilius Mamercus défasse les gens de Véies et les force à chercher la paix.

Dixième guerre. L'année suivante, 277, Véies déclara à nouveau la guerre à Rome et commença par attaquer les Fabii qui ne s'étaient pas retirés de leur camp. Sachant que se battre à découvert n'était d'aucune utilité contre ces héros, ils eurent recours à un stratagème.

Ils sortirent les troupeaux comme s'ils les menaient en pâture et les Fabii apercevant cela du haut de leur château firent une sortie, avide de ce butin. Comme il s'en retournaient avec, les Étrusques dévalèrent de leur embuscade et les submergeant par le nombre, après une résistance longue et désespérée, les taillèrent en pièce, aucun n'en réchappant sauf un garçon qui survécut pour préserver la race et fut l'ancêtre de Fabius Maximus [il y en a plusieurs].

[note : Denys donne une autre version de ce massacre que, toutefois, il discrédite en le jugeant improbable. Il dit que tout le groupe des Fabii quitta le camp pour offrir un sacrifice au sanctuaire familial à Rome, et, alors qu'il avançaient, inattentifs au danger, ils furent tout à coup attaqués par les gens de Véies qui se précipitèrent de leur embuscade et les taillèrent en pièce. Les raisons de Denys pour considérer cette version comme apocryphe ne sont pas estimées valides par Niebuhr ni par Arnold qui la préfère à l'autre tradition. Ovide rapporte l'histoire telle que donnée par le texte....]

Le massacre des Fabii ne fut que le prélude à une victoire remarquable des gens de Véies et s'ils avaient poursuivi leur avantage, Rome même aurait pu tomber dans leurs mains. En fait, il prirent possession du Janicule [colline de Rome sur la rive droite du Tibre] où ils se maintinrent pendant de nombreux mois, jusqu'à ce qu'ils fussent défaits par les Consuls romains, desquels ils obtinrent une trêve de quarante années.

Douzième guerre. En l'an 316 les Fidénates [habitants de Fidène, colonie étrusque au Nord de Rome] secouèrent le joug de Rome et se déclarèrent pour Véies. Les Véientins épousèrent leur cause et mirent à mort les ambassadeurs envoyés par Rome pour exiger une explication. L'armée étrusque rencontra ses ennemis sur les rives du Tibre, en-dessous de Fidène, théâtre de tant de défaites, et furent à nouveau mis en déroute par le Dictateur Mamercus Aemilus, leur roi, Lars Tolumnius étant tué par l'épée d'Aulus Cornelius Cossus.

Néanmoins, deux ans après l'armée alliée de Véies et Fidène marcha jusqu'aux portes-mêmes de Rome, mais fut mise en déroute par le Dictateur A. Servilius qui s'empara de Fidène.

Une fois encore lors de la treizième guerre qui éclata en 326, les Véientins et les Fidénates traversèrent le Tibre et répandirent la terreur dans la cité de Romulus. Leur avancée fut cependant bientôt maîtrisée : car ils furent à nouveau largement mis en déroute par Mamercus Aemilius et Cornelius Cossus sur le terrain-même de leur plus ancien triomphe. Fidène fut prise et détruite et Véies obtint un trêve de vingt ans.


Le siège de dix ans - la chute de Véies

Quatorzième guerre. En 347, la trêve ayant expirée, la guerre éclata de nouveau et en 349 les Romains mirent le siège devant Véies, un sort qui lui serait advenu plus tôt sans la grande force de sa position et de ses fortifications qui rendaient sa conquête presque sans espoir. Mais Rome étant en paix sur les autres fronts, était désormais en capacité de déverser toute sa force contre son antique ennemi.

En 352, Véies obtint l'assistance des Falisques et des Capénates [deux petits peuples situés à peu de distance au nord de Véies] qui virent en elle le rempart de l'Etrurie contre Rome et que, si elle tombait, tout le territoire serait ouvert à l'invasion, et qu'étant les plus proches, ils seraient les prochains à souffrir.

La diversion ainsi créée, ainsi que des dissensions dans le camp romain, joua grandement en faveur des Véientins, si bien qu'à un moment ils se trouvèrent en possession des lignes romaines. Mais ils en furent finalement rejetés et leurs alliés mis en déroute.

En 356, alors que le siège avait déjà duré huit années, un phénomène remarquable se produisit qui fut considéré comme le présage de quelque événement effrayant. Au plus fort de l'été, alors que partout ailleurs les cours d'eau tarissaient, les eaux du Lac d'Albe, sans cause évidente, montèrent soudainement à une hauteur extraordinaire, débordant leur rebord - les lèvres du cratère d'un volcan éteint - et menacèrent de dévaster la Campagne.

Des sacrifices furent offerts, mais les dieux ne furent pas apaisés. Des messagers partirent de Rome pour consulter l'oracle à Delphes quant au sens de ce prodige.

Pendant ce temps, à l'un des avant-poste du camp devant Véies, les soldats, comme il arrive souvent en de telles situations, se mirent à papoter avec les habitants au lieu de se battre : et l'un d'entre eux, un centurion romain, qui avait fait connaissance avec un vieux citoyen, fameux comme devin, commença un jour à plaindre le sort de son ami, voyant que quand la cité serait prise, il serait emporté dans les destructions communes.

Mais le véientin éclata de rire en entendant cela, disant : " Vous poursuivez une guerre sans bénéfice dans le vain espoir de prendre cette cité de Véies, ne sachant pas que la Discipline Étrusque [le très réputé art divinatoire étrusque] révèle que quand le Lac d'Albe enflera, les dieux n'abandonneront pas Véies, sauf si ses eaux sont vidées pour ne pas se mélanger avec la mer."

Le centurion pesa ces mots dans son esprit et le lendemain rencontre à nouveau le devin et, sous prétexte de le consulter sur certains signes et présages, le conduisit loin des murs de Véies : alors, se saisissant soudain de lui dans ses bras, il l'emmena au camp romain.

De là il fut amené devant devant le Sénat auquel il répéta sa prophétie, disant qu'elle ne serait pas cachée par les dieux, et qu'ainsi elle était écrite dans les livres du Destin.

Le Sénat se méfia d'abord de cette prophétie. Mais au retour de Delphes des messagers, elle fut confirmée par l'oracle du dieu : "Romains, attention à laisser l'eau dans le Lac d'Albe : prenez garde à ce qu'il ne coule pas à la mer par un canal naturel. Asséchez-le et répandez-le dans vos champs. Alors vous poserez victorieux sur les murs de Véies."

Pour obéir à l'oracle, un tunnel fut percé dans la colline rocheuse - l'Émissaire [canal de délestage] d'Albe, qui encore de nos jours, suscite l'admiration des voyageurs : et c'est vraiment un ouvrage merveilleux pour cette période reculée - d'autant plus si il a été achevé, comme le soutient Tite-Live, en l'espace réduit d'une année.

En 357 les Véientins reçurent le secours additionnel des habitants de Tarquinia par lequel leurs perspectives de délivrance furent accrues, plus spécialement quand leurs alliés obtinrent une victoire qui jeta la terreur parmi les citoyens de Rome qui à tout moment s'attendaient à voir un ennemi triomphant sous leurs murs.

Mais le sort tourna bientôt : car Camille, désormais nommé dictateur, commença par mettre en déroute les forces des alliés puis, s'inspirant possiblement de l’Émissaire d'Albe qui était achevé à cette époque, commença à œuvrer à son fameux cuniculus, "une entreprise très importante et très pénible", vers la citadelle de Véies.

Alors l'oracle et la prophétie du devin s'accomplirent-ils et Véies tomba, démontrant sa puissance même dans son renversement final :

                            Vincere cum Veios posse laboris erat [Properce]

"car bien qu'assiégée", ainsi que le déclare Tite-Live, "pendant dix longues années avec plus de blessures à son ennemi que pour elle-même, elle fut à la fin vaincue par stratagème et non par force pure.

Il est instructif d'observer combien sont semblables les fruits de la superstition à toutes le époques et sous diverses croyances religieuses.

La scène entre Camille et la statue de Junon, déesse protectrice de Véies, qu'il voulait transporter à Rome, est identique à celle rapportée s'être déroulée dans des circonstances semblables dans des temps plus récents.

Camille dit à la déesse : " Veux-tu aller à Rome, Junon ?" L'image signifia son assentiment en penchant la tête et certains spectateurs certifièrent qu'ils entendirent une voix douce murmurer son accord [note : Denys dit que la déesse répéta son accord d'une voix audible. Selon Tite-live, ce ne fut pas Camille qui posa la question].

Les anciens auteurs rapportent fréquemment de tels miracles : que des statues se mirent à transpirer, grognèrent, roulèrent des yeux et tournèrent la tête ; précisément des miracles tels qu'en relatent de modernes enthousiastes ou des imposteurs.

***

La relation qu'entretenait la hauteur d'Isola Farnese avec l'ancienne cité a été sujette à de grandes différences d'opinion. Certains l'ont considérée comme l'Arx de Véies que Camille investit par son cuniculus. Qu'elle ait pu avoir été habitée et fortifiée à une période reculée n'est pas improbable : mais il y a de fortes raisons de croire qu'il n'en était pas ainsi au temps de Camille. D'autres, avec encore moins de probabilités, l'ont vu comme le site du Château de Fabii.

Pour moi, il semble évident qu'au temps de la conquête ce n'était rien de plus qu'une partie de la nécropole de Véies. La roche est creusée dans toutes les directions de grottes et de niches funéraires, la plupart apparemment étrusques, non seulement sur la face de ses falaises mais aussi sur le plateau au-dessus.

Il est ainsi clair que tel devait être son aspect à l'époque de Camille car les Étrusques n'ont jamais habité ni enclos de murs un site qui avait été affecté à l'inhumation. Et bien qu'elle ait pu être fortifiée à l'origine, une fois consacrée aux défunts, elle dut le rester à jamais.

La nécropole principale de Véies se trouve du côté opposé de la cité, mais les Étrusques ne confinaient pas leurs cimetières d'un côté particulier de leurs villes, mais se servaient de tout terrain qui était convenable à fin d'inhumation.

Voir le Ponte Sodo, le Columbarium et la Tombe Peinte, qui sont à une courte distance les uns des autres, n'occupera pas plus de deux heures. L'Arx, se trouvant dans une autre direction nécessitera une autre heure et le circuit complet de la cité, comprenant les pièces maîtresses ci-dessus, peut être accompli en quatre ou cinq.

Le cicerone fournira des mules - si besoin est -, possiblement des selles. Les visiteurs doivent apporter leur propre fourrage avec eux, le guide fournira les provisions de bouche qui peuvent être mangées sans crainte, malgré le soupçon exprimé par une femme écrivain qu'Isola ne soit une sorte d’Île Cannibale [Elizabeth Caroline Johnstone Gray, voyageuse et écrivaine anglaise du XIXème siècle].

On peut s'affranchir de toute peur des bandits, suggérée par la même, et on peut croiser des "contadini [paysans] montés, revêtus de toges et armés de piquets ferrés" sans inquiétude car ce ne sont que d'honnêtes bergers en quête de troupeaux.

Véies est si facile d'accès qu'aucun visiteur de Rome ne devrait manquer d'y faire une excursion. Ce n'est pas à plus d'une heure de route des portes de la ville.

Et bien qu'il y ait peu d'attractions sur la route en dehors des vues sur la Campagna radieuse, et bien que le site de l'antique cité soit bien dépouillé de ses ruines, néanmoins l'intense intérêt d'une endroit si fameux dans l'histoire,

                  "Et où l'antique renommée du puissant Camille
                    Vit à jamais"

et la tombe désormais ouverte avec ses peintures merveilleuses et son étrange mobilier qui ramènent l'esprit vers les jours les plus anciens de Rome avec une force saisissante, font du voyage au site de Véies l'une des plus agréables excursions dans les environs de la Cité Éternelle.




Annexe au Chapitre I

Note I : Niches funéraires et modes de sépulture

On trouve des niches funéraires dans les rocs des environs d'autres cités anciennes dans la région sud de l'Etrurie, mais nulle part en aussi grande abondance et variété qu'à Véies. Des rochers creusés tels que ceux-ci, avec leur face emplie de niches funéraires sont presque uniques en Étrurie, quoique abondants à Syracuse et dans d'autres sites grecs de Sicile.

Des tombes remplies de niches ne sont pas rares en Étrurie, mais comme elles sont presque toujours trouvées dans des situations exposées, vidées de leur mobilier, il est difficile de se prononcer sur leur antiquité. Leur similitude avec les columbaria des Romains, suggère une telle origine, tandis que l'absence du trou à olla [olla = urne cinéraire], déjà mentionné, et le fait d'être creusées dans le roc, au lieu d'être construites en maçonnerie, les distinguent des columbaria romains.

Il n'est pas improbable que ces tombes à trous de pigeon d’Étrurie soit d'origine locale et que les Romains par la suite n'en aient tiré leur idée des columbaria, le plus vraisemblablement de celles de Véies, la cité d’Étrurie la plus proche.

Canina [architecte, archéologue du XIXè s.] est de cette opinion et considère ces niches de Véies comme toutes antérieures à la conquête romaine. Certains considèrent les tombes à trous de pigeon dans les cimetières étrusques  comme tardives, signalant une période où la crémation a remplacé l'inhumation.

Micali [Giuseppe M. : archéologue et historien de la première moitié du XIXème siècle], qui est de cette opinion, pense que toutes les tombes de ce type sur ce site sont postérieures à la chute de Véies.

Mais la crémation était de bien plus haute antiquité. Les Grecs, aux temps les plus reculés, enterraient certainement leurs morts : telle était la coutume au temps de Cecrops [mythologique fondateur d'Athènes], quoique dans les temps homériques la crémation fût pratiquée, comme dans le cas de Patrocle et d'Hector [héros de l'Iliade]. Le dépense d'un bûcher, toutefois, telle qu'on le trouve décrit par Homère et par Virgile, doit l'avoir mis hors de portée du commun.

Mes propres fouilles dans divers cimetières grecs me convainquent qu'avec ce peuple, l'inhumation était la règle et la crémation l'exception. De Jorio [professeur et archéologue napolitain de la première moitié du XIXème siècle. Il a écrit une étude montrant la filiation forte de la gestuelle des Napolitains de son époque avec celle des ancien Grecs.], une fouilleur exercé, soutient que la crémation parmi les Grecs de la Grande Grèce [Sud de l'Italie et Sicile] était dans un rapport de dix à un ; de un à dix, parmi les Romains.

Des notions philosophiques de purification ou de retour du corps à ses éléments originaux ont pu avoir à voir avec la pratique de la crémation. Ma propre expérience de fouilleur de cimetières grecs me convainc que les deux méthodes étaient pratiquées en parallèle.

Les urnes cinéraires étaient généralement déposées dans un trou peu profond et couvertes d'une dalle ou d'une tuile. C'est du moins ainsi que je les ai invariablement trouvées dans les nécropoles grecques, mélangées à des tombes creusées dans la roche ou construites en maçonnerie.

La pratique des Romains également aux temps les plus reculés était d'enterrer et non de brûler leurs morts, ce dernier mode ayant été adopté seulement quand, lors de guerres prolongées, les morts étaient déterrés. Toutefois, la crémation semble aussi avoir été en vogue au temps de Numa [roi de Rome vers 700 avant JC] qui, comme il souhaitait être enterré, fut obligé d'interdire que son corps soit brûlé.

Peut-être cette dernière coutume ne concernait que les grands hommes. Ovide évoque la crémation du corps de Rémus [avec Romulus, fondateur légendaire de Rome]. Dans les premier temps de la République, l'enterrement était le mode général : la crémation, cependant, semble entrer en usage graduellement - les Douze Tables [premier corpus de lois romaines écrites] parlent des deux, mais certaines familles adhéraient à la plus ancienne coutume, la gens Cornelia par exemple, dont le premier membre, qui fut brûlé, était Sylla le Dictateur qui, ayant déshonoré le cadavre de Marius, craignait une vengeance sur ses propres restes.

La crémation, d'abord réservée aux héros ou aux riches, devint générale sous l'Empire, mais à la longue tomba hors de mode et fut principalement appliquée aux cadavres des affranchis et des esclaves, et au quatrième siècle après Jésus-Christ fut totalement remplacée par l'enterrement.

Avec les Étrusques, il est difficile de se prononcer sur l'antériorité entre l'inhumation ou la crémation, car on trouve des exemples des deux ensembles dans des tombes d'antiquité très lointaine. Avec eux, comme avec les Grecs et les Romains, les deux méthodes semblent, dans des périodes plus tardives de leur histoire, avoir été pratiquées de façon contemporaine.

Dans certains sites, cependant, l'un ou l'autre mode était le plus prévalent. A Volterra, Chiusi, Pérouse et les villes du nord en général, la crémation était de mode ; à Tarquinia, Caere et les autres cités de la grande plaine du sud, elle était rare et l'enterrement était presque universel.

L'antiquité de la crémation est confirmée par les huttes à urnes cinéraires d'Albano, dont l'analogie, ainsi  que la position dans laquelle elles furent trouvées, indiquent leur ancienneté ; par les tombes-puits de Poggio Renzo, les plus anciennes tombes de Chiusi ; et par le caractère très archaïque de certains "coffre à cendres" et pots cinéraires trouvés dans des cimetières étrusques.


Note II : Véies, l'une des Douze

Que Véies fut l'une des Douze principales cités d’Étrurie est suggéré par Tite-Live et Denys quand ils déclarent qu'elle se joignit à Tarquinia, la métropole d’Étrurie, afin de porter assistance à Tarquin le Superbe pour recouvrer son trône, et à nouveau, quand l'exemple de Véies, en rejetant le joug de Servius Tullius [roi de Rome du 6ème siècle avant JC], fut suivi par Caere et Tarquinia, sans doute aucun des cités membres de la Confédération.

C'est établi explicitement, au moment où Tullius garantit la paix aux Douze Cités mais rançonne les trois précitées, ce qui initia la révolte et poussa les autres à faire la guerre aux Romains.

C'est clairement montré par Denys quand il l'appelle "une grande et florissante cité, non la moindre part de l'Etrurie" et aussi quand il appelle Véies et Tarquinia "les deux plus illustres cités d’Étrurie". Et encore quand il dit que les Véientins, ayant fait la paix avec Rome, "les onze peuples étrusques qui n'étaient pas parties prenantes de cette paix ayant convoqué un conseil de la Nation, mirent en accusation les Véientins, parce qu'ils avaient fait la paix sans consulter les autres".

C'est également clairement montré par Tite-Live à la déception du roi des Véientins parce qu'un autre avait été choisi par le suffrage des Douze Cités pour être grand-prêtre de la Nation de préférence à lui-même. Tite-Live déclare ailleurs que Véies et Faléries [ville étrusque au nord-ouest de Rome] envoyèrent des ambassadeurs aux Douze peuples pour exiger un conseil de la Nation, au Voltumnae Fanum [sanctuaire fédéral étrusque des Douze Cités, de localisation incertaine].

Ceci pourrait, à première vue, être interprété comme une indication que les deux cités ne font pas partie des Douze, mais après un examen plus approfondi on verra que le terme "Douze cités" était une expression commune ou, comme Müller [Karl M. : archéologue allemand du XIXème siècle] l'appelle, une "expression indéfinie", et ne s'oppose pas à l'idée de l'inclusion des deux cités. Elles cherchaient à obtenir une convention des Douze dont elles faisaient partie.

Si cela n'avait pas été ainsi, elles auraient à peine joué un rôle indépendant : les villes auxquelles elles étaient soumises en auraient formulé l'exigence. Quand, plus tard, Capena [colonie de Véies] joignit Faléries dans une requête similaire, il faut se rappeler que Véies était alors étroitement assiégée, et comme Capena était sa colonie, pouvait à juste titre agir comme son représentant.

Quand Tite-Live mentionne les Douze Cités, après la chute de Véies, cela ne peut que signifier que, le nombre étant un nombre fixe dans chacune des trois divisions de l'Etrurie, comme les Trente cités du Latium et les Douze de la Ligue Achéenne, la place de la cité qui était écartée était immédiatement occupée par une autre.

Mais si ces confirmations historiques manquaient à montrer que Véies fut l'une des Douze, sa grande taille, telle qu'établie par les vestiges existants - une étendue qui ne le cède à aucune autre cité étrusque - serait une preuve suffisante.


Note III : Isola Farnese et le château des Fabii

Bien qu'à première vue il semblerait qu'un site si fortement fortifié par nature que le rocher d'Isola ait été naturellement choisi en tant que citadelle, il y a pourtant de bonnes raisons de rejeter cette supposition. Son isolement - séparé tel qu'il est de la cité par un large ravin d'une profondeur considérable - s'oppose fortement à cette idée.

Nibby [archéologue italien], qui considère certes Isola comme l'Arx [citadelle], s'appuie sur Hostenius [historien et géographe allemand du XVIIème siècle] et pense qu'il a dû être relié à la cité au moyen d'une voie couverte entre des murs parallèles, comme Athènes l'était avec le Pirée [les "Longs Murs"]. Mais aucune trace d'une telle structure n'est visible et elle n'a probablement jamais existé sauf dans l'imagination valeureuse du Professeur.

Tite-Live précise clairement que l'Arx jouxtait la cité, car, quand le premier fut capturé par Camille, cette dernière tomba immédiatement dans ses mains ; sa possession par un ennemi, en ses temps sans artillerie, se serait avérée contrariant, mais aurait peu affecté la sécurité de la ville.

Il y a toute raison de croire, ainsi qu'on l'a déjà montré, qu'Isola n'était qu'une portion de la nécropole. Si rien de plus que des columbaria romains et des inscriptions funéraires romaines avaient été trouvés sur place, il y aurait de l'espace pour le doute, étant donné que des vestiges funéraires de cette nation ont aussi été trouvés sur la Piazza d'Armi, le vrai Arx, aussi bien qu'à l'intérieur des murs de la Véies étrusque.

Ce fait, toutefois, ne fait que démontrer la petite taille du municipium romain. Mais les nombreuses tombes étrusques sur la hauteur d'Isola et l'absence de la moindre trace de telles sépultures sur la Piazza d'Armi, semble à elle-seule, indépendamment de leur position vis-à-vis de la cité, apporter un argument fort en faveur de l'opinion que celle-ci, et non Isola, était l'Arx de Véies.

Il est surprenant qu'Isola ait jamais été pris par erreur pour le Château des Fabii. L'objection soulevée par Gell qu'elle n'est pas sur la Crémère semble peu valide car qui peut affirmer avec certitude lequel des deux affluents portait le nom ancien ? Il semble incroyable, cependant, que la troupe des Fabii ait été autorisée à prendre position à une distance si courte de Véies, surplombant ces murs mêmes, et qu'ils aient réussis à élever une forteresse à cet endroit, et la renforcer avec un double fossé et de nombreuses tours.

Denys dit qu'ils fixèrent leur camp sur une hauteur abrupte et entourée de précipices, sur les rives de la Crémère qui n'est par très éloignée de la ville de Véies. Une description qui s'applique à tout site de ce type entre Véies et le Tibre, quoique bien peu à la colline d'Isola, guère située à deux portées d'arc des murs.

Ovide, de même que Denys, semble suggérer que leur camp était entre Véies et Rome, et Tite-Live indique une position similaire quand il dit qu'ils étaient à la frontière entre les territoires étrusques et romains, protégeant le premier des ennemis et dévastant l'autre. Et encore plus résolument quand il affirme que les Véientins, attaquant le château des Fabii, furent refoulés par les légions romaines à Saxa Rubra, où ils avaient un camp.

Or Saxa Rubra était sur la via Flaminia, à quelques miles de distance, et il est évident que si Isola avait été le Castellum Fabiorum [château des Fabii], le lieu de refuge le plus proche pour les Véientins aurait été leur propre cité, et on ne doit pas croire qu'ils n'auraient pas pu atteindre l'une de ses nombreuses portes même en cas d'attaque sur leur flanc par la cavalerie romaine, comme Tite-Live le déclare.

[note : Cluverius place Saxa Rubra à Borghetto, à dix miles de Rome. Holstenius, Cramer et Gell quelque peu plus près de Rome, à Prima Porta, à cinq miles de Véiès. Qu'elle fut sur ou à proximité de la via Flaminia est évident, non seulement du fait d'un passage de Tacite - "Antoine vint à Saxa Rubra par la via Flaminia" - mais aussi de la Table de Peutinger [carte géographique du monde du IVème siècle après JC] et de l'itinéraire de Jérusalem qui s'accordent pour la situer sur cette via Flaminia, à neuf miles de Rome. Martial [poète latin] montre qu'on pouvait l'apercevoir du Janicule et que c'était un endroit de peu d'importance.]

Le site revendiqué par Nibby et Gell en tant que camp des Fabii, mais d'abord indiqué par Nardini, est sur la rive droite de la Crémère, près de sa jonction avec le Tibre, sur les hauteurs pentues au-dessus d'Osteria della Valchetta, en surplomb de la voie Flaminia, à peu près à mi-distance de Rome et Véies, hauteurs sur lesquelles se trouvent toujours des vestiges d'anciens bâtiments, quoique pas d'un style qui puisse se référer à une période si ancienne.

Les Fabii n'auraient pas pu choisir un endroit plus favorable que celui-ci pour s'assurer des Véientins, parce qu'il domine toute la vallée de la Crémère, puis la frontière, ainsi que Tite-Live le suggère, entre les territoires étrusques et romains, protégeait ce dernier des incursions, et aussi tenait sous surveillance les Fidènes, au cas où ils se seraient rebellés et auraient tenté de faire jonction avec leurs cousins de Véies. Voir la gravure réalisée à partir d'une esquisse de l'auteur.

Les ruines au sommet de cette hauteur sont des époques romaine tardive et médiévale : aucun fragment ne peut être relié à l'ère de la République romaine. Juste sur la face de la falaise y a-t-il un égout taillé dans la roche, comme ceux des sites étrusques, ce qui montre que l'endroit a été habité à une période plus ancienne que les vestiges existants ne l'attestent. Sur la hauteur sur le côté opposé du ravin, sont des ruines romaines d'un opus incertum [nature incertaine] d'une antiquité plus haute.

Aucune de ces éminences n'a plus que sa position pour mettre en avant la revendication à être considérée comme le site du "Praesidium Cremerae" [forteresse de la Crémère]. Si nous cherchons une objection, nous pourrions suggérer que la distance à Véies, six miles, semble trop grande, mais, jusqu'à ce qu'une revendication plus forte soit avancée au profit d'un autre site, nous pouvons nous satisfaire de considérer celui-ci comme les Thermopyles des Fabii.


Commentaires

  1. Ça y est, j'ai tout lu ! La fin est un peu compliquée, je m'y suis un peu perdue mais j'attends quand même le prochain chapitre...

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