Chapitre XVIII - Norchia - Orclae ?

Double tombe en forme de temple à Norchia (dessin de G. Dennis)

                  Quid sibi saxa cavata
                  Quid pulchra volunt monumenta ?

                   Que signifient ces roches creusées de chambres
                   Que signifient ces nobles monuments ? Prudence [poète latin du                                                                                                IVème siècle après JC]

                   There is a temple in ruin stands,
                   Fashioned by long-forgotten hands. 

                   Il y a un temple qui s'élève ruiné,
                   Façonné par des ouvriers bien oubliés. Byron


Vetralla, un site étrusque

Au même moment, et par les mêmes intervenants [l'archéologue de Viterbe Franceso Orioli] qui révélèrent Castel d'Asso [nécropole rupestre étrusque découverte en 1817, situé à 6,5 km de Viterbe dans le Latium], une autre nécropole étrusque fut portée à la lumière, d'une étendue encore plus vaste et d'un plus grand intérêt.

Elle se situe plus à l'ouest, à environ 14 miles [22 km] de Viterbe, parmi les ravins boisés qui s'y croisent avec la grande plaine étrusque, et dans le voisinage d'une ville ruinée et désolée, connue par son nom médiéval : Norchia.

A côté de nombreuses tombes creusées dans la roche, semblables à celles de Castel d'Asso, cette nécropole en contient deux d'un caractère plus remarquable : des imitations de temples, avec des façades à portique, des frontons sculptés, dont on pensait qu'ils étaient uniques en Étrurie jusqu'aux découvertes de M. Ainsley [ami et illustrateur de George Dennis] à Sovana [village à 20 km à l'ouest du lac de Bolsena dans le sud de la Toscane]. C'est un endroit que tous ceux qui ressentent de l'intérêt pour les antiquités de l'ancienne Italie ne devraient pas manquer de visiter.

On atteint Norchia avec la plus grande facilité à partir de Vetralla dont elle est à six ou sept miles de distances [10 - 12 km]. On passe le village de San Martino à gauche, haut sur la pente de la montagne. A San Ippolito, à mi-distance de Viterbe et Vetralla, on passe un ensemble de bas aqueducs et d'autres vestiges de bâtiments romains qui marquent le site d'anciens bains et probablement aussi d’une halte sur la Via Cassia qui, après avoir traversé le contrefort des Monts Cimins, en venant de Sutrium, et passant par Forum Cassii, non loin de Vetralla, vire au nord à travers la grande plaine jusqu’à Volsinii.

La route, pour le restant du chemin jusqu'à Vetralla, suit la ligne de l'antique Via Cassia, dont on pouvait voir des fragments de pavement quand j'ai emprunté cette route, la première fois.

Vetralla se tient à la base occidentale des Monts Cimins, et sa position sur une crête au sommet d'une falaise entre deux ravins, l'antique route creusée dans la roche par laquelle vous l'approchez et les nombreuses grottes dans les falaises des alentours, sont autant de preuves qu'elle occupe le site d’une ville étrusque.

L'antiquité du lieu semble suggérée par son nom dont on a supposé qu'il était la corruption de Vetus Aula : la provenance de la première partie du nom, au moins, ne peut guère être démentie.

Forum Cassii, comme déjà indiqué, était une halte sur la Via Cassia, à onze miles [18 km] de Sutri et douze d'Aquae Passeris, s'étendant à environ un mile [1,6 km] Est-Nord-Est de Vetralla, et sa position est marquée par l'église de Santa Maria in Forcassi, corrompu par les paysans en "Filicassi". Il n'y a rien à voir en cet endroit, en-dehors de deux arches romaines et d'une masse d'opus incertum [ruines  non identifiables] [note : Canini situe Forum Cassii à Vetralla, bien qu'il reconnaisse que c'est un site étrusque].

Vetralla est une bourgade de quelque importance, ayant 6.000 habitants. Viterbe est fameuse pour ses belles femmes, mais au vrai, les jolis minois sont plus abondants à Vetralla :

                                           Uno ha la voce,
                                           L'altro mangia la noce

                                          [L'un a la voix,
                                           L'autre mange la noix]

Cette ville se trouve à quarante-trois miles [69 km] de Rome, onze ou douze [18] de Sutri, neuf [15] de Viterbe, douze [18] de Monte Romano, vingt-et-un [34] de Corneto, trente [48] de Civita Vecchia et dix-huit [29] de Toscanella. Toutes ces routes, sauf la dernière, sont carrossables.

Le seul intérêt de Vetralla pour l'amateur d'antiquités réside en ce que c'est le meilleur point d'où aller honorer les deux sites étrusques de Norchia et Bieda qui sont chacun distants d'environ six miles [10 km].

Ce n'est pas que l'osteria [taverne] - car ce n'est rien de plus - de Vetralla ait des chambres très accueillantes : elle manque de beaucoup de choses, du confort plus que tout ; mais c'est le meilleur logement que le voisinage puisse offrir sur plusieurs miles à la ronde.

Il se peut que je ne puisse pourtant pas rendre justice à l'endroit, car à trois reprises j'y ai passé plusieurs jours au mois de novembre, quand le temps était soit extrêmement humide soit lourd de menaces : et après une longue journée de travail, souvent sous la pluie, toujours dans la boue, le froid et l'obscurité, le manque de confort la nuit peut avoir été ressenti plus sévèrement.

Je l'ai visité aussi au plus fort de l'été, mais ayant été pris sous un orage, mes souvenirs de l'hostellerie de Vetralla ne furent pas plus joyeux.

On peut obtenir un guide pour Norchia ou Bieda à l'osteria de Vetralla.

Norchia se trouve à l'Ouest-Nord-Ouest de Vetralla. Pendant les trois premiers miles [5 km], on suit la grand-route de Corneto. Là, dans un ravin à la droite de la route, on peut observer de nombreuses traces de sépultures, indiquant l'existence de quelque ville étrusque dont le nom et la mémoire ont sombré, à moins que ces tombes n'appartiennent à la nécropole de Norchia distante de trois miles [5 km], vers laquelle le chemin tourne à droite en cet endroit.

Il est plus probable cependant qu'elles marquent la nécropole de quelque ville proche. Canina [Luigi C- : archéologue italien] considère que cette ville est Cortuosa qui, avec Contenebra, fut prise par les Romains en l'année 367 [de Rome] (387 avant JC), dix ans après la chute de Véies. Il suppose que Contenebra n'est autre que Norchia.

[note : in Etruria Marittima, p. 50. Il fonde cette opinion sur la déclaration de Tite-Live de laquelle il déduit qu'elles étaient les premières villes qui furent attaquées par les Romains en entrant dans le territoire de Tarquinia. 

Cortuosa, en tant que la plus proche, fut la première à être assaillie et n'offrit pas de résistance, ce qu'il attribue à la force inférieure de sa position, les falaises de son environnement n'ayant pas de grande hauteur.

Contenebra fit plus de résistance et tint les Romains en respect pendant plusieurs jours, étant protégée, affirme-t-il, par de fortes fortifications, et était plus importante, étant mentionnée par Tite-Live comme une "cité", alors que Cortuosa,était une simple "bourgade".

L'opinion de Canina, cependant, ne résiste pas à l'examen. Il oublie que pour atteindre cet endroit, les Romains devaient avoir déjà dépassé Vetralla, un site indubitablement étrusque, qui, comme étant plus proche de Rome, a plus d'arguments pour être considéré comme Cortuosa .

Tite-Live, de plus, attribue la conquête facile de cette ville à ce qu'elle fut attaquée par surprise, et il représente Cantenebra comme étant obligée de se rendre du fait de la faiblesse numérique de ses habitants, incapables de résister au attaques continuelles des Romains qui, divisant leurs forces en six parties, poursuivirent l'assaut avec des troupes fraîches, nuit et jour, jusqu'à ce que les citoyens se rendent, épuisés.

Sur les fortifications sur lesquelles Canina base son opinion que Norchia était le site de Cantenebra, je vais avoir l'occasion d'en parler à présent.]



Les tombes temples

Au cours de la dernière moitié du trajet, la route se rétrécie en un chemin ou disparaît complètement quand vous traversez la large lande déserte ou que vous plongez dans les ravins profonds par lesquels elle est en toute direction traversée.

Rien ne peut être plus morne que ce paysage, un jour terne de novembre. La lande nue, sans arbres, sans chemins, ayant rarement une habitation sur sa large étendue mélancolique, qui semble ininterrompue jusqu'à ce qu'un de ses nombreux ravins ne s'ouvre soudainement à vos pieds.

Les montagnes autour, qui par temps plus éclatant, donne de la beauté et de la grandeur à la scène, sont perdues dans les nuages et le brouillard : même le Monte Fiascone a enveloppé sa crête sans élan.

Le pittoresque du lieu est toujours plus ou moins dans les ravins : mais leur silence et leur solitude, leurs bois presque dépouillés de feuillage et ruisselants d'humidité, ont un effet glaçant sur le moral du voyageur, qui ne sera que peu réconforté à la vue d'un troupeau de moutons enclos dans un repli boueux, ou la fumée du feu d'un berger sortant d'une grotte avoisinante, évocatrice d'un confort sauvage.

Nous prêtâmes cependant peu attention à la langueur du temps. Nous parcourûmes en hâte ces ravins, impatients d'atteindre la nécropole renommée. Les quelques tombes que nous vîmes ici et là dans les falaises ne firent qu'aiguiser notre appétit.

Pour finir, nous contournâmes un coin dans le ravin et alors, une grande variété de monuments nous sauta au visage. Ils étaient là, une suite de sépultures, situés sur la façade de la falaise qui forme la paroi droite du ravin, quelque deux cent pieds [60 mètres] au-dessus du torrent, un amphithéâtre de tombes !, car le ravin à cet endroit s'enfle en quelque chose de pareil à cette forme. Ce ravin singulier est peut-être l'endroit le plus imposant de l'ensemble des cimetières étrusques.

[note : Lenoir [Albert L. : architecte français du XIXème siècle] dit que la pente partant de la base des tombes jusqu'aux rives du torrent étaient entaillées de marches, d'environ deux pieds et demi [75 cm] de hauteur. Je n'ai pu décelé aucune trace de celles-ci : mais si elles ont existé elles doivent avoir grandement accru la ressemblance du ravin avec un amphithéâtre.]

L’œil, comme il parcourt la ligne des tombes en corniche, isole l'une des plus éloignées, une dont le fronton proéminent et décoré lui donne, même à distance, un caractère unique. En nous y rendant, nous passâmes de grosses masses de corniche de roches, détachées des falaises en surplomb et gisant en bas dans la vallée.

Nous trouvâmes que ce qui paraissait une seule tombe à distance, était en fait une double tombe, ou plutôt une tombe et demi, considérant que la moitié d'un des frontons est tombée. Sa particularité réside en ceci que, alors que toutes les tombes alentour sont du style sévère de Castel d'Asso, très proche du style égyptien, ces deux tombes sont très ornées avec beaucoup du type grec.

Au lieu des fières corniches horizontales qui surmontent les autres tombes, on trouve ici des frontons et des frises doriques, soutenus par des colonnes. Et ce qu'on voit sur l'extérieur de très peu d'autres monuments étrusques, les tympana [tympans : partie centrale des frontons], sont occupés par des silhouettes en haut-relief.

Le mur intérieur du portique est aussi orné de reliefs, du moins sous la moitié restante de la façade mutilée.
Plan grossier de Norchia et de sa nécropole (dessin de G. Dennis)

Notre première impression fut la date moderne de cette double tombe, comparée avec celles de type archaïque alentour ; et ensuite nous furent naturellement conduits à spéculer sur son origine.

Qui avait fait de cela son dernière lieu de repos ? Était-ce quelque prince-marchand d’Étrurie qui s'était enrichi par le commerce et qui, insatisfait des simples sépultures de ses ancêtres, imposa parmi celles-ci une sur le modèle de quelque temple vu et admiré lors de ses errances à travers la Grèce ou l'Asie Mineure ? Était-ce un héros, fameux dans les annales étrusques, quelque conquérant d'Ombriens ou de Pélasgiens, quelque opposant  couronné de succès de cette cité sans répit et querelleuse, un  parvenu tourmenteur des Sept Collines [Rome] ?


Reliefs des frontons et du portique

Là, dans chaque fronton, étaient des figures engagées dans des combats - certaines renversées et prosternées -, d'autres tombant à genoux et se couvrant la tête avec leurs boucliers, l'une se précipitant à l'assaut, épée à la main, une autre soulevant un guerrier blessé.

Tout cela cependant a pu être l'ornementation d'un temple duquel la double tombe a été copiée ou cela a pu avoir un sens symbolique. Pourtant, qu'il fut un guerrier semble certain car dans le relief à l'intérieur du portique un bouclier, une masse et un épée sont suspendus contre le mur, comme pour suggérer qu'il avait mené son dernier combat ; et en-dessous était une longue procession funéraire.

[note :  Il était de coutume chez les Grecs et les Romains, quand on se retirait de la vie active, de dédier aux dieux les instruments de son art ou de sa profession. Ainsi Horace propose de suspendre ses armes et sa lyre au temple de Vénus. La forme de temple de cette tombe suggère une telle explication, bien que, d'un autre côté, il n'était pas inhabituel d'indiquer sur la sépulture même la profession du décédé par la représentation de ses instruments ou outils ou par des scènes qui décrivaient son mode de vie. Un fameux mais étrange exemple de cela se voit à la tombe du boulanger à la Porta Maggiore de Rome, et un autre au monument du coutelier à la Galeria Lapidaria du Vatican. Un autre, plus semblable à cette tombe de Norchia, se voit sur un vase, décrit par Milligen (Peintures de Vases grecs, pl. XIX) [archéologue et numismate anglo-danois] où, à l'intérieur d'un oedicula ou sanctuaire, se tient la figure d'un décédé avec son bouclier et ses jambières suspendus au-dessus de sa tête. Cette coutume est toujours conservée en Orient. J'en est observé de nombreux exemples dans des cimetières arméniens.]

Se pourrait-il qu'il ait été un grec qui, fuyant sa terre natale, tel Demarate de Corinthe [exilé grec qui apporta selon la tradition la culture grecque en Italie], devint grand et puissant dans son foyer d'adoption, quoique avec de tendres aspirations pour son sol natal, et éleva lui-même un tombeau à la manière de ses parents, de sorte que bien que séparé d'eux dans la vie, il puisse de quelque manière leur être uni dans la mort ?

Non, il a dut être étrusque de sang et de croyances car la même procession montre certaines particularité de la mythologie étrusque : le génie ailé de la Mort, avec trois autres figures en longues robes portant des bâtons tordus, ces symboles mystérieux de l'Hadès [l'Au-delà] étrusques, conduisant les âmes de deux guerriers avec la pompe funéraire, exactement comme dans la tombe du Typhon à Corneto [près de Tarquinia].

J'ai parlé de colonnes. Plus aucune n'est aujourd'hui debout [note : les piliers à l'angle à droite de la tombe intacte étaient debout quand Orioli (scientifique et politique italien) visita la première fois ces monuments.], mais il est évident que les lourds entablements saillants étaient ainsi soutenus, celui de la tombe intacte par quatre colonnes dont les traces des chapiteaux et des bases sont très distinctes ; celui de la tombe brisée, si c'est par quatre ou six colonnes est difficile à dire, le plus probablement par six.

Dans aucun des deux cas elles ne semblent avoir été plus que de simples antae [piliers de temples] carrées, celles de l'intérieure semblables à celles aux angles du portique. Elles sont toutes à l'extérieur de la roche de la façade desquelles elles sont taillées et la tendresse et la friabilité du tuf explique leur destruction.

De loin les entablements semblent doriques, mais un examen plus rapprochée révèle des traits particuliers. Les frontons se terminent de chaque côté par une volute, à l'intérieur de laquelle se trouve un visage grimaçant avec des dents proéminentes, une tête de Gorgone, une décoration funéraire répandue, chez les Étrusques.

[note : les frontons de ces tombes démontrent qu'elles sont des imitations de temples ou de maisons très distinguées si l'on en juge par analogie avec les Romains, chez qui les frontons étaient de telles marques de dignité que Cicéron dit que si on pouvait construire au Ciel, où il n'y a pas d'averses à redouter, néanmoins on ne semblerait jamais avoir atteint la dignité sans un fronton. Jules César, comme une grande marque de distinction, fut autorisé à mettre un fronton à sa maison.]

Au-dessus de deux des trois volutes restantes se trouve quelque chose, qui d'en-dessous semble une masse informe de roche, mais après un examen plus au près s'avère une lionne ou un léopard, des spécimens d'acroteria [acrotères : socles aux extrémités des frontons] dont les anciens étaient coutumiers de décorer leurs temples.

[note : Les lions étaient les gardiens symboliques des tombeaux et à cet égard étaient souvent placés à l'entrée des tombes ou peints à l'intérieur, au-dessus de la porte, et on en trouve parfois dans des positions semblables en tant qu'acroteria de portiques, comme sur un sarcophage en forme de temple à Chiusi qui porte un relief de scène de lit mortuaire. Ils sont aussi souvent trouvés sculptés sur les couvercles des sarcophages, un à chaque angle, comme pour garder l'effigie du défunt. Des panthères ou des léopards sont aussi des symboles funéraires et sont fréquemment représentés sur les frontons des tombes peintes.]

On peut observer d'autres particularités dans les guttae [gouttes : terme d'architecture ; ornementations en forme de troncs de cône], les triglyphes [ornement en relief qui se compose de deux canaux entiers (glyphes) et de deux demi-canaux], les corniches dentelées au-dessus d'eux et les fascia [décor facial des bords d'une corniche ou d'un fronton] ornementés des frontons, tous autant de corruptions étrusques du pur art grec.


[note : les guttae sont inversées, ayant les pointes vers le bas et ne sont qu'au nombre de trois. Les triglyphes sont dépourvus du demi-canal sur leurs rebords extérieurs et sont par conséquent plus à proprement parler des diglyphes.]

La tombe dont la façade est intacte est plus ancienne que sa compagne ainsi que le prouve le bas-relief dans le portique de cette dernière qui empiète considérablement sur le mur de la première. Mais à des exceptions négligeables près, elles se correspondent.

[note : le fronton est plutôt plus haut sur la tombe la plus âgée. Celle-ci n'a pas de guttae comme l'autre. Le portique est plus élevé dans le monument imparfait.]

En fait, les sculptures des deux frontons sont considérées par certains comme se référant au même sujet : quoique cela puisse être, il n'est pas facile compte tenu de l'état dégradé des figures d'en décider.

Quelqu'un a émis l'hypothèse que cela représente la lutte pour le corps de Patrocle ; un autre, la destruction des enfants de Niobé ; quelqu'un y a vu la représentation de quelque dispute à propos de la guerre et de la paix au Fanum Vultumnae [sanctuaire  fédéral étrusque].

Les attitudes des figures isolées - mais parfois pas même celles-ci - sont distinguables. Tous les détails qui donnerait du caractère et du sens sont effacés. La moitié brisée du fronton ne favorise pas la clarification du mystère, quoiqu'elle ait été découverte, à demi enterrée dans la terre, avec les figures en excellent état de conservation, et a été emportée à Viterbe où on peut toujours la voir, en possession du Signor Giosafat Bazzichelli [fouilleur et collectionneur privé que rencontra Dennis]. Quel que soit le sujet de ces sculptures, elles n'ont pas le caractère étrusque archaïque affichée sur le bas-relief sous le portique.

La surface de ces murs rocheux est si abîmée que le doute doit planer à jamais sur certaines parties de ce relief. Ainsi beaucoup est clair et sans équivoque : qu'il y a un premier grand bouclier convexe circulaire, comme l'aspis [bouclier] des Grecs, et ensuite une masse, tous les deux suspendus contre le mur.

[note : Orioli pense qu'il y avait à l'origine une protubérance métallique au centre du bouclier, mais il n'y a présentement aucune trace d'un tel ornement. Dans les tombes temples taillées dans le roc en Phrygie, les boucliers trouvés sur les architraves ou les frontons ont une protubérance. Ceux qui sont représentés dans les monuments étrusques ont très rarement une protubérance, et elle est toujours circulaire, comme le bouclier argolique et le aspidès eukukloi des Héros homériques. Diodore dit que les Romains furent les premiers à utiliser un bouclier carré, mais ensuite en changèrent pour l'aspis étrusque. On trouve sculptés des boucliers semblables sur des tombes en Pamphylie, de même que sur des murs de cités.(...) Ils étaient aussi suspendus par les Grecs dans leurs tombes, comme dans les pyramides entre Argos et Epidaure décrites par Pausanias. Considérant la fréquence de leurs représentations peintes ou sculptées dans les tombes de Cerveteri et Corneto, ils semblent avoir eu un sens votif pour les Étrusques, de même que pour les Grecs et les Romains. Ces derniers  les blasonnaient à l'effigie de leurs ancêtres ou de leurs exploits héroïques.]

A côté se trouve une figure, désormais presque effacée, qui d'après ses grandes ailes ouvertes doit être un génie.

[note : une aile est presque distincte. Il y a une crête arquée correspondante où l'autre devrait se trouver. Orioli pense que cette figure représente Venus Libitina, la déesse qui présidait aux funérailles. Il s'agit certainement d'une figure féminine car le côté proéminent de la poitrine est manifeste.]

Au dessus se trouve un casque à plumet, soit porté par la figure derrière le génie, désormais impossible à distinguer, ou plus probablement suspendu. Il semble qu'une autre figure ait suivi, et au-dessus pend par une corde une courte épée courbée.

[note : des épées courbées semblables sont représentées sur plusieurs monuments étrusques. Une épée courbée d'acier, avec un bord aiguisé sur le côté intérieur comme sur une épée scythe, trouvée dans une tombe étrusque, était jadis dans la collection Campana à Rome (célèbre collection romaine acquise par la France en 1862).]

Un second casque suit, qui semble porté par une silhouette ; ensuite une épée droite suspendue ; et trois figures drapées, à peu près de taille humaine, représentant probablement des âmes, chacune portant l'un de ces mystérieux bâtons tordus, ferment la procession.

[note : de tels bâtons n'ont été trouvés que sur deux autres monuments étrusques, la Tombe du Typhon de Tarquinia où ils sont portés dans une procession très semblable à celle-ci, et la Tombe des Reliefs à Cerveteri.  Leur signification précise est inconnue. Orioli suggère qu'il pourrait s'agir de funalia, liens utilisés lors de funérailles, faits de papyrus ou de corde tordus et couverts de cire ou de poix, ou qu'ils aient une affinité avec le rameau d'or sacré - fatalis virgo - arrachée au buisson de Proserpine et emporté par Énée en Enfer comme don pour la déesse. Urlichs (Ludwig von U.)suggère qu'il puissent être des bâtons de magister. Il est possible qu'ils soient des emblèmes de supplication, comme pour Oreste assis à l'autel avec une branche d'olivier enroulée de laine (après avoir tué sa mère...).]

Il se peut que cela ait eu une suite sur l'ancienne moitié du relief, désormais totalement détruite. Il est clair que le sol de l'ensemble a été peint en rouge à l'origine et des traces de même couleur, et de jaune, sont observables ici et là autour des silhouettes. Et de même sur la moitié effondrée du fronton, il est certain que les reliefs des deux tympana et du portique, et il est probable que les portions architecturales des tombes aussi étaient ainsi décorées.

C'est une parmi les nombreuses preuves au niveau des tombes, des sarcophages et des urnes que les Étrusques, comme les Égyptiens, les Grecs et les Romains, avaient une manière polychrome de décorer leur architecture et leur sculpture.

L'opinion des archéologues varie quant à la datation de ces monuments. Tous s'accordent sur un point, à savoir qu'à la fois l'architecture et la sculpture sont une imitation délibérée des Grecs. On les a fait remonter jusqu'à Demarate, le père de Tarquinius Priscus [Tarquin l'Ancien : cinquième des sept rois légendaires de Rome, premier d'origine étrusque], à l'époque duquel appartient la première mention historique de l'influence de l'art grec sur l'art étrusque.

Mais l'esprit de liberté des sculptures des frontons n'indique pas une époque aussi reculée, alors que la raideur quelque peu archaïque et le caractère curieux des trois silhouettes qui ferment la procession du portique semblent montrer que l'art n'avait pas rejeté entièrement les entraves conventionnelles de son enfance. Je pense donc qu'on ne sera pas loin de la vérité en les attribuant à la fin du quatrième siècle de Rome.

[note : Gerhard ne voit aucune rigidité dans les reliefs des frontons comme on pourrait s'y attendre de monuments au milieu d'autres de type si ancien et il pense que le dessin montre plutôt la décadence que l'enfance de l'art. Il les considère comme antérieurs à la conquête romaine d’Étrurie. Ulrichs les voit d'une période ultérieure. Leur ressemblance avec les reliefs des sarcophages et des urnes est relevée par plusieurs auteurs.]

Il n'y a pas de portes moulées sur les façades de ces tombes, comme dans celles qui sont à côté et à Castel d'Asso : mais la ressemblance avec des temples est suffisamment évidente. L'analogie est renforcée par une dépression dans le stylobate [piédestal supportant une colonnade] de la tombe intacte qui paraît indiquer les marches conduisant au portique.

Les portiques aérostyles [l'espacement entre deux colonnes est de plus de quatre fois le diamètre de la colonne] de ces monuments - ou leurs larges entrecolonnements - et certains détails mineurs, peuvent illustrer l'ordre Toscan décrit par Vitruve. Mais dans la plupart des points, les façades ont plutôt un  type grec.

[notes : Lenoir souligne la correspondance de ces façades avec les temples aérostyles des Étrusques - barycae, barycephalae, humiles, latae (citation de Vitruve à propos des temples aérostyles : lourds, humbles, larges). Quand je parle, dans le texte, de la ressemblance avec les temples, je fais référence au type apparent de ces tombes, car il est possible qu'elles soient des imitations, non de temples, mais de simples maisons, étant donné que les Étrusques sont connus pour avoir eu des portiques à leurs demeures, qu'ils construisaient ainsi pour s'affranchir de la confusion et de l'ennui des foules de visiteurs.

On dit que le Cavaliere del Rosso a prouvé que les dimensions de ces tombes sont à l'échelle de la coudée grecque. On peut s'imprégner de leur dimension générale à partir de la gravure (en tête de cet article), par les silhouettes sous le portique qui sont pratiquement à taille humaine. Mais pour être plus explicite : la longueur de la façade brisée est de 15 pieds 6 pouces (4 m 70) ; celle de la façade intacte, 25 pieds 6 pouces (7 m 80). La hauteur du portique est de 9 pieds (2 m 74) et s'avance de 4 pieds (1 m 20). La hauteur de l'entablement est de 8 pieds 6 pouces (2 m 60) et de la totalité de la façade, de 17 pieds 6 pouces (5 m 30), sans le stylobate qui atteint en moyenne 5 pieds (1 m 80) de hauteur.]

On ne peut rien dire désormais des proportions et des ornements des colonnes.

La magnificence extérieure de ces tombes temples éveille l'anticipation d'un degré correspondant d'ornementation à l'intérieur. Mais cet espoir est vite anéanti. Les tombes, que l'on pénètre comme d'habitude par des passages étroits et abruptes, sont, comme les plus simples de Castel d'Asso, de larges chambres grossièrement creusées dans la roche, absolument privées de décoration, et contenant un double rang de sarcophages enfoncés dans le tuf, avec une économie d'espace qui dissipe la notion qu'elles sont les lieux de sépulture, chacune, d'un illustre héros ou Lucumon [noble personnage, roi]. Elles sont, en fait, comme la plupart de celles autour d'elles, des tombes familiales.


La nécropole étrusque

Que le voyageur n'imagine pas qu'avec ces tombes il a vu toutes les merveilles de Norchia. Le ravin qui contient les tombes temples s'ouvre à l'ouest sur une vaste zone où quatre ravins se rencontrent. Immédiatement à l'opposé, alors qu'on sort de cet espace, on trouve quelques belles tombes isolées, presque au pied des falaises.

A gauche, sur une langue de terre qui se projette dans un creux entre deux autres ravins, se tient l'église pittoresque et ruiné de Norchia qui marque le site de la ville étrusque.

Le ravin qui est à l'ouest de cet endroit contient très peu de tombes, mais celui sur le côté opposé en est rempli, spécialement sur les falaises qui font face à la ville où elles s'élèvent en terrasses ou se tiennent en groupes pittoresques, à demi cachées par la végétation sauvage et luxuriante. On peu en voir aussi quelques-unes sur le côté opposé du torrent dans les falaises qui s'achèvent sur l'ancienne ville.
Moulures de tombes à Norchia

Globalement, les monuments dans ce ravin sont très nombreux, deux fois autant qu'on peut en trouver à Castel d'Asso, et plus intéressants par leur variété. Car quoique par leur aspect général ils ressemblent aux tombes de cette nécropole, ils s'en distinguent souvent par leurs détails, et diffèrent aussi plus largement les uns des autres.

Il suffit de dire que les variations sont observables plutôt au niveau des façades et des moulures que dans les chambres ouvertes ou les tombes qui sont en-dessous. Il n'y a pas d'autre exemple de tombe temple à Norchia : cependant, très au-dessus des monuments isolés, dans la zone ouverte dont on vient de parler, se trouve un portique encastré dans la falaise.

[note : les moulures de la Fig. 1 sont des plus communes sur ce site. Celles des Figs 2 et 3 sont des variantes. Les premières sont aussi très communes à Castel d'Asso.]

Il n'est guère décryptable depuis le bas et est plutôt difficile d'accès. Il est composé de trois niches séparées par des pilastres qui se détachent arrondis sur le devant comme des demi-colonnes et possèdent de curieux chapiteaux cannelés. Chaque renfoncement est stuqué et paraît voir été colorié. Il est évident que ce portique élevé n'était pas une simple pierre tombale, comme les monuments tout autour, mais une tombe effective, chaque renfoncement servant de niche pour le dépôt d'un sarcophage. Il développe une forte analogie avec certaines tombes grecques de l'île de Théra, enfoncées dans les falaises d'une manière similaire.

Les tombes de Norchia sont plus nombreuses que celle de Castel d'Asso. Il doit y en avoir au moins cinquante ou soixante avec des façades sculptées distinctes, outre beaucoup d'autres ruines. J'ai cherché en vain une qu'Orioli avait décrite avec un trapèze découpé dans la roche au-dessus de sa façade, pour représenter très probablement le toit de cette sorte de caevaedium [cour intérieur des maisons romaines] que Vitruve appelle displuviatum [toit qui renvoie les eaux pluviales vers l'extérieur de la maison et non vers un bassin intérieur].

Je n'ai pas pu en trouver non plus une autre dont ce même archéologue dit qu'elle a un sphinx en relief sur chaque mur latéral de la façade [note : Lenoir aussi, qui ne parle que d'un, un  sphinx colossal, taillé dans la roche parmi les tombes]. Il est singulier que pas une seule inscription étrusque ait été trouvée dans cette nécropole. Des fouilles ont été faites sur ce site par le Signor Desiderio de Rome, mais rien de valeur n'a été porté à la lumière.


LA ville étrusque

La ville étrusque dont ces tombes formaient la nécropole occupait le site de l'église ruinée de Norchia. Sa position sur pointe étroite de terre au croisement de deux ravins - et en relation avec les tombes alentour - tendrait seul à l'indiquer comme le site d'antiques habitations.

Mais il y a aussi des vestiges d'anciennes portes taillées à travers les falaises, quoique aucun reste de murs étrusques ne soit visible (toutes les ruines sur la hauteur appartenant au Moyen Age).

La taille de la ville antique était très petite, à peine plus grande que celle de Castel d'Asso quoique le nombre et la somptuosité de ses tombes indiquent un centre de quelque importance. Son nom est entouré d'obscurité. Nous savons qu'au neuvième siècle on l'appelait Orclae.

[note : dans une lettre de Léon IV (pape au milieu du IXè siècle) "au noble homme l'évêque de Toscanella", qui assez singulièrement mentionne la "petra ficta" hors de la ville - faisant référence très probablement aux tombes temples -. Dans la même lettre on mentionne aussi "cava scamerata" et "cava caprilis", soit une grotte avec des chambres et une où l'on garde des chèvres.]

Mais il est difficile de déterminer si telle était l'appellation originelle dans ma mesure où les anciens auteurs n'en font pas mention.

[note : Orioli suggère qu'elle soit identifié à Nyrtia, mentionnée par l'antique scholiaste de Juvénal comme une ville , le lieu de naissance de Sejanus, donnant son nom à - ou bien le recevant d'elle - la déesse Nurtia ou Fortuna, dont parle le Satiriste dans le texte, ou encore qu'elle tire son nom d'Orcus, comme Mantoue fut ainsi appelée d'après Mantus. Mais considérant qu'elle était appelée Orclae aussi primitivement qu'au neuvième siècle, il est tout aussi probable qu'elle tire son nom d'Hercule qui était adoré par les Étrusques sous le nom d'Ercle, tout comme Minerve donna son nom à Athènes et Neptune le sien à Posidonia ou Paestum.

Orclae fut partiellement abandonnée très tôt du fait de l'insalubrité du site et les émigrants déplacés à Vitorchiano (Vicus Orclanus), où en 1435, sous le pontificat d'Eugène IV, le reste des habitants partit et la ville fut détruite. Quoiqu'Orioli prétende avoir découvert le site, il fut indiqué comme étrusque un siècle plus tôt par Mariani qui parle de "Horchia"...]

Canina considère qu'il s'agit de Contenebra, et ainsi la marque sur sa carte, mais ne dispose d'aucun élément probant pour ce classement qui est une pure conjecture.

[note : dans sa carte, il place l'antique ville sur une large plateforme entre le Fosso delle Pile et le Fosso dell' Acqua Alta, et la représente ainsi comme un endroit de première taille, ce qu'on sait que Contenebra n'était pas car elle n'avait qu'une maigre population. Canina fonde son opinion sur un morceau de mur ancien à l'emplacement marqué h sur mon plan, qu'il prend pour les murs de la ville étrusque, et il décrète qu'elle a été "fortement fortifiée dans les plus anciennes époques", de telle sorte qu'elle fut capable de résister aux Romains plusieurs jours. Mais ce bout de mur n'est pas sur le front de la falaise ainsi que les fortifications devraient se trouver, mais dans la vallée, à leur pied : et s'il protégeait quelque chose, c'était les tombes dans les falaises au-dessus de lui. Il n'a pu former aucune partie des murs de la cité. Je ne vois aucune raison de modifier mon opinion selon laquelle la ville étrusque se trouvait sur la hauteur, désormais occupée par l'église lombarde.]

Dans son actuel état de grande désolation, elle a des charmes autant pour l'artiste que pour l'amoureux des antiques. Quel visiteur de cet endroit peut oublier l'église ruinée d'architecture lombarde, dilapidant sa beauté simple au regard stupide du berger, seul à fréquenter ces lieux sauvages ?

Quel homme ayant un œil sensible au pittoresque peut oublier les hautes falaises sur lesquelles elle se tient - ici perforée de façon à former un pont ; là, disloquées, et fendues à leur base, le riche tuf rouge et gris à moitié enveloppé par la végétation impérissable du chêne-liège, du chêne vert et du lierre ?

[note : Orioli dit qu'il y a un pont romain ancien de maçonnerie régulière sur le Biedano, sous la ville : mais je n'ai pu l'apercevoir. Il signale aussi une route taillée dans la roche et appelée la "Cava Buja" sur le mur de laquelle est gravée une inscription latine. Le seul exemple de route taillée dans le roc que j'ai pu apercevoir est près du pont naturel et elle est maintenant obstruée par des morceaux de roches qui sont tombés.]

Qui peut oublier les gorges profondes aux alentours, toujours enveloppées de pénombre, où la tranquillité n'est rompue que par les murmures du ruisseau ou par le cri du faucon, solitudes grouillant des solennels souvenirs du passé, race mystérieuse avec de pompeux monuments trompant leur but-même : car élevé pour perpétuer le souvenir des morts, ils sont toujours debout tandis que leurs habitants ont depuis longtemps été oubliés ?

Celui qui l'a visité doit l'admettre, que bien que sans nom et sans chronique, il y a peu de sites en Étrurie plus intéressants que celui-ci, aucun qui requiert plus impérativement l'attention du passionné d'antiquité.

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